Introduction

La phase d’installation d’un gazon sportif est assez délicate : les besoins d’un jeune gazon sont plus élevés que ceux d’un gazon bien installé. De même, afin de faire germer les graines et subvenir aux besoins en eau des jeunes plantules, il est nécessaire d’arroser plus fréquemment ce qui implique un lessivage plus important des engrais appliqués. Ceci est d’autant plus vrai sur des supports sableux avec peu de matière organique et une capacité d’échange cationique faible.

En ce sens, les supports hybrides utilisés sur les terrains de football ou rugby de haut niveau représentent l’extrême de ce cas de figure. En effet la C.E.C moyenne de ces milieux est très faible (1.9 mEq/100 g en moyenne) la une contrainte de temps avant la première utilisation du terrain est très courte (8 semaines) à un moment de l’année où la demande évaporative est proche du maximal.

Cela fait quelques temps que j’essayais de trouver une méthode pour estimer la manière dont l’azote appliqué est utilisé par le gazon, en d’autres termes une sorte d’évaluation simple de l’efficacité de la fertilisation. Cet article évoque globalement le principe et un exemple sur la phase d’installation.

Installation Raygrass anglais sur support hybride
Figure 1 : Installation d’un mélange de différentes variétés de raygrass anglais sur support hybride au mois de Juin. La demande évaporative est élevée et la système racinaire peu développé. Ceci nécessite des petits arrosages très fréquents pour installer correctement le gazon. Photographie : R. GIRAUD. Licence : Clinique du gazon, tous droits réservés ©

Coefficient d’utilisation de l’azote : késako?

En agriculture, il existe un indice qui permet d’estimer cela : le coefficient apparent d’utilisation de l’azote (C.A.U.). Ce dernier correspond à la fraction de l’azote total d’un fertilisant qui est absorbée par les plantes jusqu’à la récolte (voir cet article sur Wiki Aurea). « Un témoin non fertilisé est comparé à des modalités fertilisées avec l’engrais étudié à des doses croissantes. La mesure de l’azote exporté par la culture dans chacune des modalités permet de calculer le coefficient apparent d’utilisation, qui est la pente de la droite exprimant la variation de quantité d’azote absorbé par les plantes en fonction de la quantité d’azote apporté. »

Dans notre cas pratique, ce serait une usine à gaz de vouloir faire ce genre d’essais et c’est pourquoi j’ai essayé de faire une estimation plus simple en divisant la quantité d’azote récoltée ou exportée par la quantité d’azote appliquée sur la période d’installation. Ainsi, mon coefficient d’utilisation de l’azote simplifié (C.U.A.S) se calcule de la manière suivante :

    \[ C.U.A.S = \frac{N^{exporté.tonte}}{N^{appliqué.engrais}} \]

L’approximation (pas de témoin sans engrais) n’est pas débile en soi. En effet, les quantités de matière organique étant très faibles sur ces supports sableux (1.2% en moyenne) la composante azotée issue de la minéralisation de la M.O. (fourniture par le sol) me parait dérisoire donc négligeable par rapport aux quantités d’azote minérale appliquées lors de cette phases d’installation.

Le gazon n’étant pas une culture avec récolte et rendement (sauf pour la production, ce qui ne nous concerne pas), le seul moyen d’évaluer les quantités exportées, c’est d’utiliser les données de croissance éventuellement mesurées lors des tontes. J’ai désormais mis au point une méthode qui permet de le faire facilement sur les terrains de sports avec une mesure du volume, ce que nous commençons à faire régulièrement.

Il suffit alors de convertir ce volume en masse (je commence à avoir une bonne idée du facteur de conversion pour le raygrass anglais). A noter que les données majoritairement disponibles concernant se facteur de conversion concernent surtout l’agrostide stolonifère tondue selon les exigences des greens de golf (voir l’e-book du légendaire Micah Woods à ce sujet) pour le moment. J’utilise ensuite une concentration moyenne en azote foliaire pour l’espèce utilisée (idem, je dispose de nombreuses analyses foliaires de raygrass anglais entretenus selon les exigences du haut niveau me permettant d’utiliser cette moyenne) pour enfin estimer la quantité d’azote exportée par les tontes.

Je connais ainsi :

  • les quantités d’azote appliquées sur la période d’installation
  • les quantités d’azote exportées pour chaque tonte

Je peux alors calculer mon coefficient d’utilisation d’azote simplifié. L’avantage de ce coefficient réside dans sa simplicité avec la possibilité de comparer différents systèmes à différentes périodes de l’année. En effet, même si on partait du principe que la valeur absolue est fausse, elle permet de comparer la performance d’utilisation de l’azote d’un site à l’autre ou encore d’une période à l’autre.

Coefficient d’utilisation d’azote pour la période d’installation

Ainsi, pour la phase d’installation, je démarre le compteur à partir de la première tonte pour la fertilisation. Cette année, sur un des stades, nous avons appliqué 177 kg d’azote/ha sur 36 jours et exporté environ 31 kg N/ha par les tontes sur la même période soit un coefficient d’utilisation d’azote simplifié de 17.5% ! Ceci signifie que grosso modo seulement 20% de l’azote appliqué a été utilisé par la plante. Ridicule non?

Certes, mon raisonnement implique quelques simplifications et probablement une sous-estimation de l’azote appliqué mais l’ordre de grandeur est juste. Il y a de bonne chance en prenant une grande marge que ce coefficient soit bien inférieur à 40%.

Comment expliquer une si faible utilisation?

  • La limite du raisonnement : je n’inclus que la partie exportée par la tonte et il y a forcément une partie de l’azote utilisée dans les parties laissées sous la tonte (feuilles, racines, apex, collet). Ceci dit, ces parties une fois décomposées ne sont pas exportées mais restituées et l’azote à nouveau disponible probablement utilisé plus tard et exporté par la tonte ou bien lessivé. On pourrait voir ça comme un « turnover » constant.
  • La très faible capacité d’échange cationique (de plus l’azote est peu stocké sur les sites d’échanges)
  • La faible teneur en matière organique (ce qui implique une C.E.C d’autant plus faible puisque la C.E.C de ces supports provient majoritairement de la M.O.)
  • Les quantités d’eau nécessaires pour installer le gazon lors d’une période où la demande évaporative est presque maximale lessivent largement les engrais
  • Le faible enracinement sur le début de l’installation qui ne permet pas au gazon de bénéficier de l’intégralité du volume de sol où l’engrais s’est diffusé.
  • L’utilisation d’engrais solides et leur technologie associée : dans ce cas 2 références d’engrais solides : la première contenant 30% d’azote de synthèse organique à libération lente et une autre d’organo-minéral avec libération plus ou moins lente (difficile à estimer). En pratique, ces 2 références libèrent relativement vite les éléments nutritifs (résultats de mesures de conductivité interstitielle que j’ai effectué sur les terrains et dans des essais en pots).
Conductivité interstitielle suite à 4 applications d'engrais
Figure 2 : Dynamique de la conductivité interstitielle suite à 4 applications d’engrais pour 2 capteurs différents. On voit bien que la majorité des éléments nutritifs sont libérés dès les premiers arrosages mais également les phases de lessivages par la suite. Figure: R. GIRAUD. Licence : Clinique du gazon, tous droits réservés ©

En pratique, le risque de lessivage est élevé à cette période avec les engrais solides du fait des cycles d’arrosage nécessaires. L’expérience montre cependant que seuls les engrais solides arrivent à installer le gazon assez rapidement pour répondre aux exigences du calendrier (les quantités d’azote apportées en un passage sont élevées ce qui implique en conséquence une croissance maximale quelques jours après l’application). De plus, ils permettent de limiter le passage des tracteurs sur un gazon encore fragile en passant moins souvent.

Cependant, l’utilisation de ce type d’engrais implique une mauvaise utilisation de l’azote appliqué avec un lessivage relativement important lors des rénovations mais également un risque plus élevé de développer des maladies parfois très difficiles à contrôler comme les Pythiums ou la Pyriculariose.

Il y aurait bien des essais à mener pour vérifier si des passages d’engrais liquides au sol/foliaires très réguliers permettent d’obtenir une croissance et une vitesse d’installation comparables (le peu qu’on en fait n’est pas concluant mais la méthode n’est probablement pas la bonne). Ces derniers permettraient quant à eux de maximiser le coefficient d’utilisation de l’azote avec très peu de lessivage pour les applications foliaires.

A l’heure où les optimisations d’intrants sont nécessaires (eau, engrais) il est important de méditer un peu sur le sujet…