Introduction
J’avais rédigé un article en 2018 sur des essais en cours portant sur les capacités germinatives de différents cultivars d’agrostides stolonifères réalisés par l’université de Pennsylvanie (D. Carroll, J. Kaminski et P. Landschoot).
Les résultats de l’époque étaient disponibles à partir d’une présentation disponible via ce lien. Les résultats des essais ont finalement donné lieu à une publication sur le journal Crop, Forage and Turfgrass Management le 28 août 2020.
L’étude synthétise les résultats des essais menés en 2017 et 2018 et ne reprend pas l’ensemble des manipulations effectuées.
En effet, alors que la présentation évoquait des seuils testés de températures de 10,15,20 et 25°C, le seuil de température retenu pour la publication est de 10°C. Ce seuil est considéré comme suboptimal (en-dessous de la température optimale de germination pour une agrostide stolonifère) et représentatif des températures moyennes de l’air dans l’état de Pennsylvanie entre Mars et Mai.
Je rappelle enfin que le but de cet article est d’aiguiller l’intendant vers un choix justifié des variétés à utiliser lors des aérations de printemps. Ces dernières sont en effet aujourd’hui souvent effectuées tôt avec des températures trop froides pour une germination optimale des graines.
Méthodologie
Le principe des essais consiste à tester 18 cultivars d’agrostides stolonifère en conditions de températures considérées comme suboptimales (température de l’air fixée à 10°C) pour la bonne germination des graines de l’agrostide stolonifère. L’intervalle de températures optimal pour la germination de l’agrostide est considéré entre 20 et 30°C pour les températures diurnes et 10 à 20.5°C pour les températures nocturnes2. Heineck et al., en 20193 ont également montré que l’agrostide stolonifère ne germe plus en dessous de 7.2°C. La présente étude décide donc de fixer la température à 10°C, légèrement au-dessus de la température minimale connue pour l’agrostide stolonifère car ce seuil représente la température moyenne de l’air en Pennsylvanie entre Mars et Mai, période propice à l’aération de printemps des greens de golfs.
Une première partie consiste à vérifier les bonnes capacités germinatives des lots de semences testées dans l’étude dans des conditions optimales de température (température de l’air diurne de 25°C et température nocturne de 15°C avec 8 heures de conditions diurnes et 16 heures de conditions nocturnes, des lampes fluorescentes faisant office de lumière).
Les lots répondant à une capacité germinative de 90% après 7 jours d’incubation sont sélectionnées pour la seconde partie : les tests de germination à basse température (10°C, cycle diurne/nocturne de 8h/16h). Le pourcentage de germination a ensuite été relevé de manière quotidienne pendant 18 jours puis tous les 3 jours entre le 18ème jour et le 28ème jour (fin des essais).
Pour les cultivars ayant une germination supérieure à 50% au bout de 28 jours, le pourcentage de germination permet de calculer ensuite :
- « l’air sous la courbe » (AUGC) de germination, méthode statistique permettant de faire des comparaisons statistiques plus fiables entre les différents cultivars
- le nombre de jours nécessaires pour obtenir 25 et 50% de germination
Les auteurs de l’étude ont également pris soin de tester différents lots de certains cultivars (jusqu’à 5 pour 007 et 2 pour les variétés Alpha, Crystal BlueLinks, Mackenzie, Penn A4 et Tyee) pour tester la variabilité entre les lots d’une même variété.
Résultats
Capacités germinatives en conditions optimales
La plupart des lots de variétés testés germent à plus de 90% dans des conditions optimales de températures et il n’existe pas de différence statistique significative entre les variétés. Ceci assure aux chercheurs de n’utiliser que des lots qui « germent bien » pour la suite de l’étude qui se déroule à basse température (10°C).
Capacités germinatives pour une température suboptimale (10°C)
Le pourcentage de germination des essais est présenté dans la figure 1 et l’aire sous la courbe moyenne dans la figure 2.
D’abord, les résultats des essais ont montré encore une fois que 10°C représente une température suboptimale pour la germination de l’agrostide stolonifère : à 11 jours d’incubation, les pourcentages de germination sont tous faibles (pourcentage moyen de 18%, non présenté dans les deux figures ci-dessus). Ceci montre à quel point il est difficile de bien implanter un cultivar lorsque les températures sont trop froides au printemps.
Ensuite, il existe des différences relativement significatives entre certaines semences quant à leur capacité de germination à 10°C. Ainsi, les variétés Crystal BlueLinks, Pure Select et 007 semblent avoir les capacités les plus élevées dans ces conditions. On retrouve les pourcentages de germination et les aires sous les courbes les plus élevés (figures 1 et 2). Ces résultats coïncident d’ailleurs avec la précédente étude de Heineck et al., en 2019 (étude synthétisée sur un autre de mes articles) qui montrait aussi les variétés Pure Select et 007 parmi les meilleures quant à leur capacités germinatives à basse température (cycle jour/nuit à 12.8°C/1.7°C et 4.4°C/15.6°C).
Une variabilité importante selon le lot testé !
Aussi, certaines variétés semblent germer beaucoup moins ou beaucoup moins vite à basse températures. C’est là que les résultats de l’étude deviennent vraiment intéressants. Il suffit de regarder les résultats obtenus pour 5 lots différents de la variété 007. A 28 jours, suivant le lot, le pourcentage cumulé de germination oscille entre 37 et 70% ! On devine également le même comportement avec d’autres variétés comme Alpha (entre 27 et 45%) ou Tyee (entre 17 et 42%). Pourtant, l’intégralité des lots testés à 10°C ont passé la barre des 90% de germination pour des températures optimales (tous les lots sont viables).
Ainsi, l’étude conclue sur la difficulté d’interprétation des résultats tant la variabilité semble forte suivant le lot de semences utilisé. Les causes exactes de cette variabilité ne sont pas encore claires mais la génétique de chaque individu ou les conditions de conservation des lots de semences pourraient être à l’origine de ces différences.
J’ai pu échangé sur la question avec Devon Carroll (auteur de la publication) et elle pense que :
- les conditions de stockage des lots ont la plus forte incidence sur cette variabilité observée
- l’année de récolte explique ensuite également la variabilité
Cette observation me fait aussi réfléchir sur les différences que l’on peut observer lors des expérimentations variétales avec des cultivars qui des années s’installent très vite et d’autres années beaucoup moins comparativement. Il suffit également de regarder les résultats des essais nationaux (NTEP par exemple) où les notations sont parfois différentes suivant les années pour des mêmes variétés.
Conclusion
Les résultats de cette étude montrent d’abord qu’il est peu utile de réaliser des regarnissages en agrostide stolonifère lorsque la température est inférieure à 10°C car les graines ne germeront pas ou très peu. J’ai eu récemment une discussion avec un ancien semencier sur le fait que certaines des graines pourront rester dormantes et germer plus tard. Cette capacité à rester en dormance dépend toutefois de l’espèce et probablement de la variété et je considère qu’il est préférable de partir avec des cultivars ayant déjà les meilleures chances de s’installer.
Il existe ensuite des variétés intéressantes à basse température (10°C) car capable de germer à des pourcentages suffisamment élevés pour justifier un regarnissage au printemps. Parmi celles-testées, les variétés 007, Pure Select, Penn A-4 et Crystal Bluelinks sembleraient être les plus performantes. Plus largement, les variétés Penn A1 et Pure Distinction ont également un pourcentage de germination correct à 10°C (>45%).
Il aurait pu être possible de faire une autre liste de variétés à éviter du fait de faibles pourcentages de germination obtenus (<45%) lors de ces essais à 10°C (L93, Mackenzie, Alpha, Flagstick, Penncross, Tyee et Ignite). La forte variabilité observée pour une même variété avec différents lots de semences montre toutefois qu’il faut rester prudent quant à l’interprétation des résultats d’un seul lot. Il est largement possible que d’autres lots aient eu de meilleurs résultats même si la tendance générale est probablement juste.
Enfin, il serait préférable d’utiliser des mélanges de variétés différentes ou des mélanges de différents lots de la même variétés plutôt que des variétés pures avec un seul lot lors des aérations printanières. Le but est de limiter au maximum le risque de semer un lot de semences qui aurait des difficultés à germer à basse température et qui serait par conséquent entièrement inefficace.
Enfin, pour se faire un avis global sur la question, n’hésitez pas à aller voir ce premier article mais aussi ce second article sur la clinique du gazon.
Bibliographie
- Carroll, D. E., Kaminski, J. E. & Landschoot, P. J. (2020). Creeping bentgrass seed germination in growth chambers at optimal and suboptimal temperatures. Crop, Forage & Turfgrass Mgmt https://doi.org/10.1002/cft2.20068
- Toole, V. K. & Koch, E. J. (1977). Light and Temperature Controls of Dormancy and Germination in Bentgrass Seeds. Crop Science17, https://doi.org/10.2135/cropsci1977.0011183X001700050033x
- Heineck, G. C. et al. (2019). Variability in Creeping Bentgrass Cultivar Germinability as Influenced by Cold Temperatures. Crop, Forage & Turfgrass Management 5, https://doi.org/10.2134/cftm2018.07.0054