Introduction
La complexité avec la pyriculariose du gazon réside dans la difficulté à prévoir son apparition et sa virulence qui peuvent être très variables d’une année sur l’autre. On le voit bien sur les stades à l’heure actuelle : certains stades sont systématiquement touchés alors que l’incidence est très variable pour d’autres. La difficulté est la même pour les essais menés au champ par les semenciers ou universités.
Aujourd’hui, lorsqu’on cherche à évaluer la résistance d’une variété à Pyricularia oryzae, on se base très souvent sur les résultats du NTEP (National Turfgrass Evaluation Program). En règle générale, on se contente de regarder la moyenne sur les 5 années de la résistance évaluée. Parfois, plusieurs stations évaluent cette résistance mais il n’est pas rare qu’une seule station soit à l’origine de la notation finale.
La virulence de Pyricularia oryzae est connue pour être très élevée sur jeune gazon (en général, les 2 à 3 premiers mois après le semis) puis moins importante sur gazon installé. C’est ce qu’on constate largement sur les stades : une pelouse peut être ravagée la première année alors qu’on observera quelques foyers plus ou moins développés suivant les variétés utilisées sur un gazon installé non rénové à l’inter-saison. Malheureusement, le calendrier de l’utilisation des pelouses sportives implique des rénovations lors de la période la plus propice au développement de la maladie. Elles sont en général effectuées de fin mai à mi-juin et le gazon se retrouve donc à son stade de sensibilité le plus élevé en juillet, aout et septembre : période également idéale pour le développement de la pyriculariose.
Il serait donc logique dans le cadre du choix d’une variété, de se baser sur des résultats issus d’essais menés dans les mêmes conditions : une évaluation des parcelles sur un gazon âgé de quelques mois et semé avant ou pendant la période chaude avec une pression fongique élevée.
C’est alors qu’on se rend compte qu’il est nécessaire de trier les données du NTEP puisque certaines évaluations sont réalisées 1 à 3 ans après le semis, ce qui rend les résultats moins intéressants en ce qui nous concerne. A titre d’exemple, l’évaluation de la pyriculariose du gazon pour la série 2011-2014 n’a été réalisée que sur une seule station, 1 an après le semis.
En étudiant de près le protocole et les résultats de ce programme national, les stations où la virulence semble la plus élevée sont situées dans le New Jersey à l’Université de Rutgers. Cette prestigieuse université en ce qui concerne la sélection et l’expérimentation sur gazon est probablement celle qui a réalisé et publié le plus d’essais concernant la pyriculariose. Certains chercheurs (S. Bonos, B. Clarke et W. Meyer) ont notamment été les premiers à publier sur la sélection de variétés résistantes à la pyriculariose au début des années 20001-3.
Les résultats des essais réalisés sur la station d’expérimentation de l’université sont disponibles sur leur site web3. A travers l’ensemble des données disponibles, j’ai ainsi tenté d’évaluer de manière plus objective la résistance à la pyriculariose de différentes variétés de raygrass anglais sur plus de 20 ans d’expérimentation.
Matériel et méthode
La première étape consiste à répertorier l’intégralité des essais réalisés sur Pyricularia provenant de l’université de Rutgers3, du CTBT et du NTEP depuis les années 2000 (l’université de Rutgers est d’ailleurs l’une des stations officielles du NTEP et notamment pour les notations de la résistance à Pyricularia). Au total, 32 séries de notations sont disponibles. La notation varie de 1 (intensité très élevée, parcelle ravagée) à 9 (peu ou pas de symptômes) pour l’ensemble des séries.
J’ai tenté de sélectionner dans toutes les séries :
- Les cultivars historiques dans la sélection de variétés résistantes (par exemple : Protege GLR, Palmer GLS ou Paragon GLR)
- Les cultivars sensibles à la maladie utilisés comme témoins dans les essais le plus souvent possible (par exemple : Linn, Brighstar SLT ou Barlennium)
- Les cultivars disponibles sur le marché européen et français (par exemple : Galleon, GrandSlam GLD ou 1GSQuared par exemple)
J’ai ensuite observé les distributions statistiques des séries de notations sur la résistance à Pyricularia (avec pour chaque série, l’intégralité des variétés testées) afin de ne garder que les séries où la pression du pathogène était considérée élevée. Le but est de ne pas tenir compte des années à faible pression où la plupart des variétés étaient peu touchées (dont les témoins sensibles). Il est utile de remarquer que c’est souvent le cas lorsque l’évaluation est réalisée en dehors des premiers mois après le semis.
Les distributions des résultats des différentes séries sont visibles sur la figure 1.
En l’occurrence, cette méthode supprime quasi systématiquement les notations réalisées dans le NTEP sauf pour les stations du New Jersey (Université de Rutgers). En effet, la virulence du champignon était relativement faible sur les séries du NTEP avec des valeurs médianes élevées et une dispersion des valeurs faible autour de la médiane (voir figure 1).
Je calcule ensuite une moyenne des notations sur l’ensemble des séries, un écart-type mais également les minimums et maximums. J’évalue ensuite le nombre de fois où la variété apparait dans les séries utilisées pour calculer sa moyenne. Ce dernier paramètre constitue plus ou moins un indice de confiance, si l’écart-type reste raisonnable pour la variété. En d’autres termes, si la variété obtient souvent les mêmes notes pour un grand nombre de séries : la moyenne de résistance est fiable.
Je classe ensuite les résultats selon cette moyenne, avec mon « indice de confiance » et j’obtiens à mon sens un « classement des variétés » plus juste que les simples résultats moyennés sur 5 ans du NTEP.
J’ai ensuite tenté de lister les mélanges « Premiums » de différents distributeurs ou producteurs de semences français pour évaluer la résistance potentielle du mélange face à la pyriculariose en fonction de leur composition pour l’année 2021. N’hésitez d’ailleurs pas à me corriger si des erreurs se sont glissées dans les compositions.
Résultats
Tableau de données
Les résultats de cette recherche sont disponibles en cliquant sur ce lien suivant (fichier au format Excel *.xls). 3 onglets sont disponibles :
- Un premier avec l’intégralité des variétés décrites plus haut
- Un second avec uniquement les variétés inscrites en Europe
- Un dernier avec les mélanges « Premiums » français constitués de raygrass anglais, leur composition mais aussi les notes de résistance à la pyriculariose suivant la composition du mélange. Malheureusement, un nombre conséquent de mélanges contiennent des variétés non évaluées et le mélange global ne peut par conséquent par être évalué.
La couleur de la variété indique la « confiance » qu’on peut accorder à la moyenne. Une couleur verte indique que la variété a été évaluée au moins sur 5 séries d’essais avec pression significative de la pyriculariose. A l’inverse, une couleur rouge indique que la variété n’a été évaluée qu’une seule fois et que la confiance accordée à la moyenne calculée est faible.
Toutefois, si la note de résistance est très faible conjointement à un « indice de confiance faible« , cela indique déjà que la variété a été sensible lors d’au moins une série. Si cette dernière résiste mieux à la maladie sur une prochaine série, ceci signifie que cette résistance n’est pas constante avec un caractère aléatoire qui me semble problématique. Certaines variétés ont été testées plusieurs fois avec des résultats stables ce qui reste préférable d’un point de vue pratique.
Graphiques
Variétés disponibles en Europe
La figure 2 montre les résultats du travail réalisé sous forme de barres pour les variétés disponibles en Europe. La moyenne des séries sélectionnées est visible sur l’axe des ordonnées. La couleur de chaque barre en dégradé de couleurs est proportionnelle au nombre d’occurrence de la variété dans l’ensemble des séries et constitue une sorte « d’indice de confiance » (voir l’échelle de graduation sur la droite).
Par exemple, la variété SilverDollar en bleu clair indique que la note de résistance attribuée est robuste avec la présence de la variété dans 12 des 32 séries d’essais. La variété Ringles en bleu foncé indique que la confiance attribuée à la moyenne est faible car la variété n’apparait que dans une seule des 32 séries.
En termes de variétés disponibles en Europe avec une résistance significative à la pyriculariose et un indice de confiance relativement élevé, citons :
- 1GSquared dont la moyenne est supérieure à 7 avec un faible écart-type. Dans les 5 séries d’essais où la variété est présente, les notes de la variété n’ont pas été inférieures à 6.7 et sont montées jusqu’à 8.7.
- La variété Infusion semble également intéressante en termes de résistance à la pyriculariose mais n’est présente que 3 fois dans les séries d’essais (note minimum à 6.8 et maximum à 8). D’autres essais valideront probablement les résultats.
- Citons également Dasher 3, Galleon, Aspire, Fastball RGL et Fiesta 4 dont la moyenne est proche de 7 ou supérieure à 7 mais des séries d’essais où la variété a plutôt mal résisté au pathogène (minimum de 3.9, 4.2, 4.7, 4.8 et 5.1 respectivement pour Galleon, Fiesta 4, Dasher 3, Fastball RGL et Aspire). Les résultats semblent ainsi moins constants que pour 1GSquared par exemple même si les variétés ont d’excellents résultats pour certaines séries.
D’autres variétés sont probablement à éviter si le risque de développement de pyriculariose est élevée, avec des notes significativement plus faibles (voir la figure 2). Des nouvelles variétés encore non disponibles en Europe semblent également prometteuses : à consulter dans le premier onglet du fichier Excel.
Évolution de la génétique depuis les années 2000
Je me suis intéressé à regarder l’évolution des notations depuis les années 2000 avec notamment le début de la sélection de variétés plus résistantes à la pyriculariose. Rappelons que la plupart des variétés commercialisées avant les années 2000 étaient particulièrement sensibles au champignon pathogène, ravageant les parcelles d’essais. Citons à ce titre les variétés pionnières de raygrass anglais résistantes à la pyriculariose : Protege GLR, Paragon GLR ou Palmer GLS.
La distribution des notations de résistance à la pyriculariose par année (moyennant les différentes séries d’essais pour chaque année) est visible sur la figure 3.
On peut largement distinguer une tendance à une amélioration des valeurs maximales (début de la sélection des variétés résistantes) depuis 2003. La tendance globale d’augmentation des valeurs médianes montre l’incorporation de génétiques plus résistantes dans les essais et notamment depuis 2013. Cependant, les notes très élevées (supérieures à 8, noter les maximums sur les boîtes à moustaches depuis 2010) restent réservées aux années à plus faible pression (boîtes à moustaches décalées vers le haut des graphiques), montrant encore les limites de l’amélioration variétale sur ce pathogène. La résistance reste partielle avec des symptômes plus ou moins marqués et ce graphique va bien dans ce sens.
Mélanges disponibles en France
Si l’on s’intéresse aux mélanges disponibles en France, on se rend compte qu’il est difficile de trouver un mélange constitué uniquement de variétés montrant une résistance robuste dans les séries d’essais explorées dans cette étude. Les producteurs ou distributeurs ont tous fait l’effort de choisir des variétés relativement résistantes dans les essais officiels du NTEP. Suivant mon protocole, dans chacun des mélanges, il y a toutefois toujours une variété qui peut être considérée sensible à moyennement sensible suivant les années de forte pression.
Sur le terrain, selon mes observations, tous les mélanges sont touchés par la maladie, à divers degrés d’intensité suivant le mélange, la localisation et l’année.
Il serait intéressant de voir si un mélange constitué uniquement de variétés dont les notations sont élevées selon mon protocole serait plus résistant à l’échelle du terrain. Pour être honnête, je pense que le mélange parfait selon mon raisonnement a des chances d’être touché par la maladie, tant les facteurs de développement sont complexes (environnement, support, maintenance, …) et considérant la résistance partielle des variétés.
Citons enfin le cas des raygrass tétraploïdes qui sont de plus en plus utilisés dans les mélanges. Les seules données disponibles concernant leur résistance à la pyriculariose ne sont pas convaincantes avec des variétés sensibles à moyennement sensibles (voir tableau disponible au téléchargement, notamment la famille des Double). Il serait évidemment intéressant de mener plus d’essais sérieux concernant cette espèce récente en usage gazon et sur sa résistance à la pyriculariose du gazon. La génétique Européenne disponible n’a jamais été testée officiellement à ma connaissance. Sur le terrain, on voit toutefois que les mélanges à base de tétraploïdes ne résistent pas mieux que les mélanges constitués uniquement de diploïdes.
Conclusion
Ce petit travail imparfait permet d’extraire un peu plus d’informations des essais dispersés menés sur la pyriculariose du gazon. Il synthétise l’ensemble des résultats disponibles (NTEP, CTBT, Rutgers Proceedings) depuis les années 2000 et notamment des essais réalisés à l’université de Rutgers.
Il permet notamment de faire le tri entre les données avec une moyenne de résistance pour chaque variété réalisée uniquement sur des séries à forte pression de pyriculariose. Il intègre également un paramètre de « robustesse » qui fiabilise les résultats : le nombre d’apparition de chaque variété dans l’ensemble des séries.
Au final, peu de variétés présentes dans un grand nombre de séries et disponibles en France montrent une résistance stable suivant un grand nombre de séries. Ceci va dans le sens des observations terrains avec la présence systématique de symptômes plus ou moins sévères quelque soit le mélange utilisé.
En ce qui me concerne, je pense que la complexité va encore plus loin. Des expérimentations menées en conditions contrôlées ont montré que la résistance de certaines variétés n’était pas la même suivant le support dans lequel elle a poussé. Ceci montre à quel point l’environnement du gazon et sa gestion ont un potentiel impact sur la résistance global du système. Il reste énormément de travail de recherche à faire…
Enfin, notez bien que le choix d’une variété ne doit pas prendre uniquement en compte ce critère de résistance à la pyriculariose : d’autres critères sont évidemment importants.
Bibliographie
1. Bonos, S. A., Kubik, C., Han, Y. & Meyer, W. A. (2001). Evaluation of perennial ryegrass germplasm for gray leaf spot. American Society of Agronomy Madison, WI,
2. Bonos, S. A., Kubik, C., Clarke, B. B. & Meyer, W. A. (2004). Breeding Perennial Ryegrass for Resistance to Gray Leaf Spot. Crop Science 44, 575–580 https://doi.org/10.2135/cropsci2004.5750
3. Université de Rutgers (2000 à 2020). Rutgers Turfgrass Proceedings https://turf.rutgers.edu/research/reports/