Préambule

Cet article est basé sur la publication parue sur le journal « Fungal Biology » en Août 2018 issue des travaux de l’USDA, l’université de Rutgers, de Caroline du Nord et de l’Ohio. Elle est consultable gratuitement en anglais en cliquant sur le lien suivant :

Le magazine « Golf Course Management » y a également consacré un article en anglais consultable sur le lien suivant.

Historique de la classification du dollar spot

Le premier rapport concernant dollar spot date de 19271. A l’époque, John Monteith le décrit alors comme le « petit brown patch » en raison des lésions foliaires (voir figure 2) observées similaires aux « brûlures transversales » du brown patch mais une formation de tâches circulaires ne dépassant pas la taille d’une pièce d’un dollar sur les gazons coupés à ras (voir figure 3). Le terme « petit brown patch » fut remplacé par en 1932 par « dollar spot » pour éviter les confusions avec le « large brown patch » causé par Rhizoctonia solani2(voir figure 1).

Premier article sur dollar spot par J. Monteith
Figure 1 : Extrait du premier article sur dollar spot : photographie du pathogène par J. Monteith. (Source : Monteith, 1932) – Licence : « Can You Identify Brown-Patch? » par les archives de l’université du Michigan.

En 1935, F.T. Bennett caractérisa d’ailleurs le champignon pathogène causant dollar spot comme une nouvelle espèce : Rhizoctonia monteithiana en raison du nom de son premier observateur3. Or, ce nouveau nom ne fut jamais validé officiellement en raison de sa non-conformité avec les nouvelles nomenclatures de l’époque. En 1937, Bennett proposa un nom valide pour le champignon suite à de nouvelles observations, retirant sa première proposition de nomenclature. C’est alors que le champignon de la famille des ascomycètes prend le nom utilisé jusqu’à nos jours : « Sclerotinia homoeocarpa »4. En effet, Bennett remarque que les structures desquelles les sporophores émergent ressemblent à des aggrégats de microsclérotes et classifie le champignon dans le genre Sclerotinia (Sclerotiniaceae).

Lésions foliaires du dollar spot
Figure 2 : Lésions foliaires caractéristiques du dollar spot en brûlures perpendiculaires au limbe. Photographie : R. Giraud.

En 1945, H. Whetzel revoit la taxonomie de la famille des Sclerotiniaceae et restreint le genre Sclerotinia aux champignons produisant des apothécies provenant de sclérotes tubulaires, ce qui n’est pas le cas de Sclerotinia homoeocarpa5. Ce dernier produit en effet un stroma plat et non pas de vrais sclérotes. Whetzel conclue en raison de cette caractéristique morphologique que S. homoeocarpa ressemblerait plus aux espèces comme Rutstroemia ou Lambertella, organismes classés en 1997 dans une nouvelle famille : les Rutstroemiaceae5. Whetzel proposa en 1946 de reclasser S. homoeocarpa mais ne le fit jamais formellement6. Ainsi, le champignon pathogène à l’origine de dollar spot garda un nom générique taxonomiquement incorrect, mais officiel du point de vue de la nomenclature.

Dollar spot sur green de golf
Figure 3 : Symptômes du dollar spot sur green de golf. Photographie : R. Giraud.

S. homoeocarpa ne produit que très rarement de spores sexuelles, il ne se reproduit que par des hyphes stériles ou des stromas7. Depuis les premières observations de Bennett, seule une étude de 1970 relate l’observation de souches produisant des apothécies mais celles-ci sont stériles8. En 1973, Jackson isole et observe une souche provenant du Royaume Uni capable de produire des ascospores (spores sexuelles), avec des caractéristiques proches de la souche décrite par Bennett en 19379. Jackson compare la souche à l’espèce Rustroemia mais n’ose pas reclasser S. homoeocarpa du fait du peu d’unanimité dont le genre Rustroemia fait preuve aux yeux des taxonomistes10.

Depuis 1973 jusqu’à l’apparition des technologies basées sur l’ADN dans les années 1990 et bien que de nombreux scientifiques soient d’accord sur le fait que S. homoeocarpa n’est pas un vrai Sclerotinia, de longs débats ont lieu entre les taxonomistes concernant la nomenclature exacte du champignon7. De nombreuses espèces alternatives sont d’ailleurs proposées (Lanzia, Lambertella, Moellerodiscus, Poculum ou Rutstroemia) sans décision officielle sur la classification5,11-13.

Les années 90 marquent le début d’une nouvelle aire technologique avec l’ADNr permettant de réaliser des analyses phylogénétiques. Différents travaux sont alors effectués sur dollar spot mais les résultats sont contradictoires du fait d’une variabilité génétique élevée et du faible nombre de souches utilisées. Plusieurs évidences montrent tout de même l’appartenance probable du champignon au genre Rustroemia14-15. La reclassification du champignon est tout de même déférée pour la cinquième fois13.

Une nouvelle étude qui met fin au débat

Récemment, des chercheurs de l’USDA, université de Rutgers, de Caroline du Nord et de l’Ohio se sont penchés pour régler la problématique. Avec plus de 4000 souches de champignons pathogènes causant les symptômes du dollar spot sur différentes plantes hôtes à travers le monde entier, le groupe de recherche a étudié génétiquement et morphologiquement les caractéristiques de ces champignons7. Les informations génétiques ont fait l’objet d’une analyse phylogénétique, un outil utilisé pour déterminer les liens génétiques entre les organismes et construire des arbres phylogénétiques. Cette dernière analyse montre qu’il n’existe pas une mais 4 espèces différentes de champignon à l’origine de dollar spot et que ces champignons n’appartiennent à aucun genre connu décrit jusqu’à présent7.

Un nouveau genre : Clarireedia

Un nouveau genre, appelé « Clarireedia » a donc été créé pour classifier ces champignons pathogènes7. Le nouveau nom est un hommage à C. Reed Funk, un scientifique renommé pour ses travaux dans l’amélioration génétique des variétés de gazon en ce qui concerne la résistance au dollar spot (« Clarus » signifie « connu » en latin et « reedia » fait référence à « Reed »). 4 espèces de dollar spot sont maintenant décrites au sein du genre Clarireedia (voir figure 4) :

  • C. jacksonii
  • C. monteithiana
  • C. homoeocarpa
  • C. bennettii

Du fait de la quasi absence de structures de reproduction (asques, ascospores bien que certaines espèces développent des apothécies stériles) ou de caractéristiques morphologiques distinctes, la différenciation ne peut se faire que par le biais d’analyses phylogénétiques moléculaires7.

Arbre Clarireedia
Figure 4 : Arbre génétique et classification des nouvelles espèces causant dollar spot. Schéma : R. Giraud

Description des nouvelles espèces

Clarireedia jacksonii : l’espèce majoritaire sur les graminées de saison froide

Clarireedia jacksonii a été nommé en référence à Noel Jackson, un pathologiste ayant travaillé sur dollar spot dans les années 70. Sa distribution est mondiale et ne touche que les graminées de saison froide (agrostides, fétuques rouges, pâturin des prés et raygrass anglais)7. Cette espèce est capable de produire des apothécies toutefois stériles en conditions in-vitro sur milieu gélosé.

Sous nos latitudes, c’est donc l’espèce qui provoque dollar spot et sa dénomination vient remplacer celle de Sclerotinia homoeocarpa.

Clarireedia monteithiana : l’espèce majoritaire sur les graminées de saison chaude

Clarireedia monteithiana, a été nommé en référence à John Monteith, le scientifique qui découvrit dollar spot en 1927. L’espèce est distribuée dans le monde entier et n’a été trouvée que sur les graminées de saison chaude comme les chiendents ou paspalums7.

Ces deux premières espèces sont responsables de la majorité des épidémies de dollar spot rencontrées à travers le monde (71% des souches étudiées).

Clarireedia homoeocarpa

Clarireedia homoeocarpa, bien moins répandu. Cette espèce n’affecte que les fétuques rouges et n’a été isolée qu’au Royaume Uni. Probablement le Rhizoctonia monteithiana décrit par Bennett en 19353.C’est la seconde espèce où des apothécies ont été observées (voir figure 5).

Apothécies Clarireedia Homoeocarpa
Figure 5 : Clarireedia Homoeocarpa : la seule espèce ou des apothécies ont été observées. Elles restent cependant stériles. (Source : Salgado-Salazar et al., 2018). Licence : « Clarireedia homoeocarpa neotype material. » par l’éditeur Science Direct sous licence CC BY-NC-ND 4.0

Clarireedia bennettii

Clarireedia bennettii a été nommé en référence à F. T. Bennett qui fut le premier à décrire le pathogène à l’origine de dollar spot4. Cette dernière espèce est décrite par Bennett en 19374 et fut isolée d’une espèce de gazon inconnue. On la retrouve sur les débris de végétaux morts au Royaume Uni, aux Pays-Bas, et aux USA7.

Ce qu’il faut retenir

  • Le dollar spot a été découvert en 1927 et le champignon à l’origine des symptômes observés a été désigné incorrectement Sclerotinia homoeocarpa depuis 1937 jusqu’à 2018.
  • A travers le temps, de nombreux chercheurs ont émis l’hypothèse de la non appartenance du pathogène au genre Sclerotinia. C’est seulement aujourd’hui à l’aide des nouvelles techniques moléculaires basées sur l’analyse phylogénétique que les scientifiques ont pu rattacher le champignon pathogène à un nouveau genre : Clarireedia.
  • 4 espèces différentes de Clarireedia ont été identifiées lors d’une étude publiée en Août 2018. 4 champignons et non pas un seul sont à l’origine du dollar spot.
  • Sous nos latitudes, Clarireedia jacksonii est responsable de la maladie. Le nom « Sclerotinia homoeocarpa » n’est donc plus d’usage et remplacé par Clarireedia jacksonii, prononcé « klariridia jakssoni » (cliquez ici pour accéder à la page de google translate qui prononce plutôt bien le nouveau nom du pathogène, il suffit de cliquer sur le haut parleur sur la gauche).

Conclusion et perspectives

Cette nouvelle classification des champignons à l’origine de dollar spot marque une avancée significative après plus de 80 ans de travaux et débats. De plus, la découverte de 4 espèces différentes (et probablement d’autres localement) souligne la forte diversité biologique présente dans ce genre.

Cette découverte majeure permettra désormais d’étudier l’influence de cette diversité sur les méthodes de contrôles (méthodes culturales, fongicides, biocontrôle) et de trouver peut-être des solutions mieux adaptées et plus efficaces en fonction de chaque espèce.

Bibliographie

  1. Monteith, J. (1927). Can You Identify Brown-Patch? Natl. Greenkeep. 6, 7–11
  2. Monteith, J. & Dahl, A. S. (1932). Turf Diseases and Their Control. Bull. U. S. Golf Assoc. Green Sect. 87–89 http://gsrpdf.lib.msu.edu/ticpdf.py?file=/1930s/1932/320887A.pdf
  3. Bennett, F. T. (1935). Rhizoctonia diseases of turf. Gardeners Chron 3,
  4. Bennett, F. T. (1937). DOLLARSPOT DISEASE OF TURF AND ITS CAUSAL ORGANISM, SCLEROTINIA HOMOEOCARPA N.SP. Annals of Applied Biology 24, 236–257 https://doi.org/10.1111/j.1744-7348.1937.tb05032.x
  5. Whetzel, H. H. (1945). A Synopsis of the Genera and Species of the Sclerotiniaceae, A Family of Stromatic Inoperculate Discomycetes. Mycologia 37, 648–714 https://doi.org/10.1080/00275514.1945.12024025
  6. Whetzel, H. H. (1946). The cypericolous and juncicolous species of Sclerotinia. Farlowia 2, 385–437
  7. Salgado-Salazar, C. et al. (2018). Clarireedia: A new fungal genus comprising four pathogenic species responsible for dollar spot disease of turfgrass. Fungal Biology 122, 761–773 https://doi.org/10.1016/j.funbio.2018.04.004
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  12. Kohn, L. M. (1979). A monographic revision of the genus Sclerotinia. Mycotaxon 9, 365–444
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