Introduction
La méthode MLSN (pour « Minimum Level of Sustainable Nutrition ») que nous traduirons par NMND (Niveau Minimum pour une Nutrition Durable) est une méthode d’interprétation des résultats d’analyse de terre pour les gazons. Elle fixe des seuils minimums au-dessus desquels il est possible d’obtenir une surface engazonnée optimale, sans problème particulier.
Elle s’inscrit dans un contexte de réduction des intrants afin de limiter les pollutions environnementales :
- Dues aux engrais : lessivage des éléments nutritifs sur des sols à faible capacité d’échange cationique, extraction de minerais naturels nécessaire à la fabrication des engrais
- Dues à des applications de produits phytosanitaires et notamment fongicides suite à des excès de fertilisation
Utilisée avec d’autres modèles (notamment un modèle de croissance) et des résultats d’analyses de terres, la méthode permet d’estimer les besoins strictement nécessaires à une croissance optimale du gazon.
Cet article décrit d’abord les méthodes classiques utilisées pour interpréter les analyses de terre. Puis, à partir des données de centaines d’analyses de terres de surfaces engazonnées, il expliquera pourquoi les seuils de recommandations classiques ne sont pas adaptés à une gestion durable des surfaces engazonnées dans un cadre de gestion raisonné des intrants.
A l’heure actuelle, la méthode est largement utilisée sur de nombreux golfs à travers le monde mais fait également l’objet d’études scientifiques sur la fertilisation de précision1–5.
Jusqu’à présent, les deux méthodes utilisées pour interpréter les analyses de terre des gazons aux USA étaient :
- La méthode SLAN (Sufficient Level of Available Nutrient) ou « Niveau suffisant de nutriment disponible » en français.
- La méthode BCSR (Base Cation Saturation Ratio) ou « Pourcentage de saturation des bases échangeables » en français.
En France, le principe des interprétations automatiques réalisées par les laboratoires repose sur le même principe que la méthode SLAN, on peut notamment citer le logiciel REGIFERT développé à l’époque par l’INRA et le LDAR au début des années 2000 et encore utilisé aujourd’hui par plusieurs laboratoires6,7. Dans leur approche, les agronomes à l’origine du projet avaient notamment pour but de tenir compte des pollutions environnementales en limitant les intrants sans pour autant sacrifier le rendement.
Méthodes d’interprétation actuelles d’analyses de terre
SLAN : Sufficient Level of Available Nutrient
Le principe de la méthode SLAN est basé sur le fait que l’augmentation de rendement d’une culture par unité d’élément nutritif diminue lorsque le niveau de disponibilité du nutriment s’approche d’un niveau suffisant.
Ainsi, en-dessous des seuils de recommandations, il est probable qu’un apport de l’élément nutritif implique une réponse en termes de croissance. Différents seuils sont proposés suivant la concentration en élément nutritif du sol et la probabilité de réponse de la plante8,9 :
- Faible concentration : dans ce cas, il y a 80-100% de chance qu’appliquer le nutriment cause une augmentation de la croissance.
- Concentration moyenne : il y a 50% d’obtenir un rendement supplémentaire dans l’état actuel mais une application d’engrais est probablement nécessaire par la suite.
- Concentration élevée : il y a peu de chance d’obtenir une réponse de la part de la plante en termes de croissance si le nutriment est appliqué.
- Concentration très élevée : appliquer le nutriment peut diminuer la croissance de la plante
Pour obtenir ces seuils, des études de calibration complexes à mettre en œuvre doivent être réalisées pour un maximum de type de sol et d’espèces. Les courbes de réponses obtenues permettent de déterminer les seuils décrits précédemment. La difficulté réside dans la variabilité de la réponse des plantes à chacun des éléments nutritifs et chaque type de sol. Lorsque les données pour une espèce en particulier ne sont pas disponibles, on utilise les données des espèces les plus proches. Pour les graminées à gazon, le nombre d’espèce et la diversité des types de sol est relativement grande ce qui ne facilite pas la tâche. De plus, le critère recherché pour les gazons par les intendants n’est pas un rendement mais plutôt un état sanitaire et visuel suffisant.
Aux USA, la méthode la plus utilisée pour les bases échangeables (Ca, K, Mg, Na) est la méthode Mehlich III (méthode unique pour l’ensemble des nutriments). L’acétate d’ammonium neutre est également utilisé. Pour le phosphore, les laboratoires utilisent les méthodes Bray-P1, Morgan ou Olsen.
Ainsi, les recommandations SLAN aux USA sont visibles dans le tableau 1 pour les méthodes Mehlich III et acétate d’ammonium neutre (tiré de Carrow et al., 2004)9.
La France avec l’exemple de REGIFERT et COMIFER
En France, le principe de la méthode REGIFERT est plus complexe mais repose sur le principe de la méthode SLAN et ajoute une prise en compte du niveau d’exigence de chacune des cultures vis-à-vis de chacun des éléments nutritifs. La méthode distingue 2 seuils L1 et L26 .
L1 est le seuil au-dessus duquel une impasse sur une culture non exigeante n’entraîne pas de baisse significative de rendement7. Il doit permettre aux cultures non exigeantes d’atteindre, sans fertilisation complémentaire et avec une fréquence au moins égale à neuf cas sur dix, 95% du rendement qui serait accessible en condition d’alimentation minérale non limitante6.
L2 est le seuil au-dessus duquel une impasse sur une culture exigeante n’entraîne pas de baisse significative de rendement7. Il doit permettre aux cultures exigeantes d’atteindre, sans fertilisation complémentaire et avec une fréquence au moins égale à neuf cas sur dix, 95% du rendement qui serait accessible en condition d’alimentation minérale non limitante6.
Ainsi, pour une culture non exigeante vis-à-vis de l’élément, en-dessous de L1, aucune impasse (c’est-à-dire la possibilité de ne pas fertiliser) n’est possible. Au-delà de L1, l’impasse est possible. Pour une culture exigeante, en-dessous de L2, aucune impasse n’est possible alors qu’au-dessus, l’impasse est envisageable.
Suivant l’exigence de la culture, les seuils L1 et L2 sont équivalents aux seuils « élevés » du SLAN décrit plus haut avec une très probable absence de réponse de la plante si l’élément est ajouté en tant que fertilisant.
En pratique, les seuils sont souvent fixés par région, par type de sol et niveau d’exigence des cultures et issus des travaux du comité français d’étude et de développement de la fertilisation raisonnée (COMIFER). Des grilles régionales sont disponibles avec les seuils suivant l’exigence de la culture et le type de sol.
Malheureusement, aucune étude n’a été réalisée sur le cas particulier des graminées à gazon dont le rendement n’est évidemment pas un critère suffisant. On peut toutefois se baser sur les seuils disponibles pour les graminées fourragères en culture annuelle qui sont considérées comme des moyennement exigeantes pour le phosphore et le potassium.
Arvalis (institut technique agricole français) recommande pour les prairies temporaires le raisonnement des apports avec l’analyse de terre suivant la méthode de calcul préconisée par le Comifer sur culture annuelle.
En se basant sur la grille disponible et en choisissant un type de sol sableux de la région parisienne par exemple, on obtient les seuils du tableau 2.
Selon le COMIFER , si la teneur du sol est supérieure à T.impasse : les impasses sont le plus souvent conseillées (cultures peu ou moyennement exigeantes). Pour les cultures très exigeantes, l’enjeu rendement d’une impasse reste faible.
• Si la teneur du sol est entre T.renforcée et T.impasse : il existe un risque pour le rendement, mais pas très élevé, avec un enjeu de l’ordre de 5 % à mettre en regard du coût de l’engrais.
• Si la teneur du sol est inférieure à T. renforcée : les risques de pertes de rendement sont élevés, en fréquence et en niveau de rendement, à partir de 10 % de perte de rendement.
Ces seuils dépendent de la culture et sont ajustés suivant les valeurs d’autres paramètres du sol. En pratique, les laboratoires utilisent des seuils comparables en moyenne mais les valeurs varient d’un laboratoire à l’autre. Il en va de même pour les recommandations finales en termes d’apport d’engrais.
Le problème dans le cas du gazon reste toujours entier : comment considérer la culture en termes d’exigences ? Y’a-t-il eu des essais réalisés sur gazon en France avec la méthode à l’acétate d’ammonium neutre en ce qui concerne les bases échangeables ? J’imagine que la plupart des seuils utilisés sont basés sur les cultures fourragères et notamment le raygrass anglais
A ce titre, j’ai tenté de lister les seuils recommandés par différents laboratoires pour des analyses de terre de surfaces sportives engazonnées (greens de golf, terrains de sports).
15 analyses ont été listées pour chaque laboratoire. J’ai pour cela retenu les gammes de seuils utilisées dans chacune des analyses (minimum et maximum observé pour chacun des éléments dans les 15 analyses). Les résultats sont visibles dans le tableau 3. La variabilité des seuils suivant l’analyse pour un même laboratoire est probablement due à un ajustement du seuil suivant le type de sol.
J’ai également ajouté à titre de comparaison les seuils SLAN disponibles aux USA pour certains éléments mesurés à l’acétate d’ammonium neutre (K, Ca et Mg) ou encore les seuils du phosphore Olsen. Enfin, j’ai ajouté les seuils proposés par le COMIFER pour une culture moyennement exigeante et un sol sableux de la région parisienne.
Globalement et sauf pour le phosphore Olsen, les seuils SLAN des USA sont comparables aux recommandations des laboratoires français.
Pour le phosphore, les seuils utilisés aux USA sont largement plus faibles que les seuils utilisés par les laboratoires français. Les études menées aux USA sur les besoins en phosphore du gazon sont probablement à l’origine de ces valeurs plus faibles (les gazons sont très peu exigeants en phosphore sauf lors de la phase d’installation).
Les laboratoires français se retrouvent logiquement dans la gamme de valeurs de seuils proposés par le COMIFER pour une culture moyennement exigeante et un sol de type sableux.
BSCR
Le principe de la méthode BSCR repose sur un potentiel équilibre idéal existant entre les différents nutriments sur les sites d’échange du sol (caractérisés par la capacité d’échange cationique ou CEC). Le concept est basé sur de travaux commencés à la fin du 19ème siècle par Oscar Loew10 qui suggérait un rapport Ca/Mg de 5 :4 pour une croissance optimale des plantes. Le concept a ensuite été repris par William Albrecht, un scientifique de l’université du Missouri dans les années 1930 dans les « Albrech Papers »11. C’est dans ces derniers travaux qu’apparait la notion de « sol idéal » avec un équilibre optimal entre les différents nutriments.
Selon la méthode initiale des années 1940’s développée par des chercheurs du New-Jersey12, le rapport idéal entre les différents éléments était respectivement pour le calcium (Ca), le magnésium (Mg), le potassium (K) et l’hydrogène (H) 65%, 10%, 5% et 20% soit un taux de saturation de 80%8,13. Ce résultat implique donc des rapports de 6.5/1 pour Ca/Mg, 13/1 pour Ca/K et 2/1 pour Mg/K.
Ces valeurs ont ensuite été adaptées avec des gammes plus larges par Graham en 195914 à savoir 65-85% pour le calcium, 6-12% pour le magnésium, 2-5% pour le potassium puis encore plus large par Baker & Amacher en 198115 avec 60-80% pour le calcium, 10-20% pour le magnésium et 2-5% pour le potassium (voir tableau X).
Selon les utilisateurs de la méthode, cet équilibre permettrait d’améliorer les caractéristiques physiques du sol par le biais de la forte présence de calcium et son action sur la floculation des argiles16,17. Pour ce qui concerne les sols sableux à très faible teneur en argiles majoritairement utilisés pour les pelouses sportives, cette dernière observation me parait peu crédible.
La méthode a rapidement suscité de vifs débats qui existent d’ailleurs toujours entre les défenseurs de la méthode SLAN et ceux de la méthode BSCR8,11,16,18,19. Les critiques de la méthode ne sont pas rares et reposent sur :
- Le fait que la méthode se base sur des rapports entre les éléments et pas sur les quantités qui peuvent être suffisantes (dans ce cas apport excessif) ou à l’opposé être à l’origine de carences (concentration trop faible)12. Une étude de l’université d’IOWA sur gazon a par exemple observé une situation de carence foliaire en potassium alors que l’équilibre idéal était respecté8.
- Le fait que la méthode amène souvent à des applications excessives de calcium et de potassium pour atteindre l’équilibre idéal16,19.
- L’absence de publications scientifiques revues par des paires sur le bienfondé de la méthode avec seulement 15 publications entre 1930 et 2008 sur le sujet dans le monde agricole au sens large11. A l’inverse, différentes publications ou articles ont montré les limites du système11,12,16,19.
En pratique, de nombreux consultants ou laboratoires basent encore leurs recommandations sur le BSCR ou sur un mélange SLAN/BSCR. En principe et statistiquement, il existe effectivement une tendance en termes de proportion entre les différents éléments nutritifs. C’est pourquoi cette seconde approche semble plus recommandable puisqu’elle tient compte des quantités présentes dans le sol.
Comparaison des seuils des laboratoires et des résultats d’analyses de terre : vers une nouvelle approche : le MLSN ou NMND
Comme décrit précédemment, les recommandations faites par les laboratoires reposent sur des seuils en-dessous desquels on obtient une réponse de la plante en appliquant un élément fertilisant.
En d’autres termes, sans fertilisation pour une teneur inférieure au seuil, il y a une probabilité non négligeable d’avoir un impact négatif sur le rendement.
Au-dessus du seuil, une impasse théorique est possible c’est-à-dire qu’un apport de l’élément n’est pas nécessaire puisque sa quantité au sol est suffisante pour ne pas limiter la croissance de la plante.
Il est maintenant intéressant de comparer les valeurs mesurées des analyses pour les sols sportifs (greens, terrains de sports) aux seuils recommandés par les laboratoires. En toute théorie, on devrait retrouver des valeurs proches des seuils ou au-dessus des seuils sans quoi une partie non négligeable des surfaces engazonnées devraient avoir des problèmes de rendement ou de carence.
La figure 1 représente les distributions des concentrations en phosphore (Joret-hébert), potassium, magnésium et calcium (acétate d’ammonium neutre) de plusieurs centaines d’analyses de terres de greens de golfs avec l’ajout des valeurs médianes (ligne verticale rouge) et le niveau de recommandation moyen des laboratoires (ligne verticale verte). Le niveau moyen de recommandation pour le calcium a été basé sur la capacité d’échange cationique médiane des greens de golfs en y retirant la somme des concentrations en potassium, magnésium et sodium recommandées.
La figure 2 représente la même chose pour les terrains de sports.
Greens de Golfs
Le tableau 5 synthétise les proportions d’analyses inférieures aux seuils de recommandation des laboratoires français pour les greens de golfs mais aussi pour les terrains de sports.
En observant les données des greens de golfs, on se rend compte que 80% des analyses contiennent moins de potassium que les recommandations des laboratoires (67% pour le magnésium). Plusieurs explications sont envisageables :
- Les greens de golfs sont pour la plupart limitants en potassium et magnésium et des carences devraient être observées.
- Les seuils de recommandation sont trop élevés voire inatteignables pour un grand nombre de golfs.
Pour autant, la qualité et la performance de la plupart des greens golfs compris dans cette moitié inférieure d’analyses est optimale sans problème sérieux ou de carence notable. Pour ma part, je pense donc que les seuils proposés par les laboratoires sont trop élevés et sont même parfois impossible à obtenir, même en appliquant des quantités astronomiques d’engrais.
A titre d’exemple, Phil Busey, un agronome et consultant américain a tenté de de mesurer l’évolution des concentrations en potassium du sol (méthode à l’acétate d’ammonium neutre utilisée en France) après une application d’engrais sur un sable calcaire supposé contenir une faible concentration en potassium (39 mg/kg de K soit 47 mg/kg de K2O alors que les recommandations SLAN se situent à 75-175 mg/kg de K soit 90-211 mg/kg de K2O ).
Pour corriger cette concentration, il a appliqué une quantité énorme de potassium (25 g/m²) et réalisé des analyses jusqu’à 45 jours après application. Au 6ème jour, la concentration dans le sol était montée à 153 mg/kg de K (184 mg/kg de K2O) pour ensuite descendre à 131 mg/kg de K (158 mg/kg de K2O) au 16ème jour puis à nouveau 44 mg/kg de K (soit 53 mg/kg de K2O) au 45ème jour soit à peu de chose près l’équivalent de la quantité initiale avant apport.
Cet exemple montre qu’un sol de ce type ne peut pas contenir plus d’une certaine concentration de potassium, malgré des applications d’engrais potassique (une certaine proportion de la CEC qui dépend du type de sol). En d’autres termes et dans ce cas, aucun intérêt d’atteindre le seuil de recommandation du laboratoire, les applications d’engrais potassiques seront tout simplement lessivées et donc absolument inutiles puisque non stockées, une fois les 39-44 mg/kg de K (47-53 mg/kg de K2O) atteints au sol.
Pour le Phosphore Joret-Hébert, la valeur médiane rencontrée dans les greens est légèrement supérieure à la valeur recommandée. Ceci signifie à mon sens que la plupart des greens contiennent largement assez de phosphore disponible et que des applications régulières ou supplémentaires sont inutiles.
Pour le calcium, la valeur médiane des greens est bien supérieure aux recommandations. Ceci provient toutefois du fait que le pH moyen des greens est légèrement basique et le réactif d’extraction utilisé (acétate d’ammonium neutre) extrait alors une partie du calcaire des greens alors que celui-ci n’est pas biodisponible. Dans tous les cas, le calcium n’est que très rarement limitant sur notre territoire car il sature la plupart des sols sportifs.
Terrains de sports
Pour les terrains de sports, le constat est différent (voir tableau 5). Une première nuance explique cela : la capacité d’échange cationique plus faible des golfs (32 meq/kg en médiane) par rapport à celle des terrains de sports majoritairement constitués de mélange terre/sable (70 meq/kg soit plus du double).
Ainsi, les quantités présentes dans le sol sont bien plus importantes (mais les exportations aussi avec des croissances très élevées).
Pour le potassium et le magnésium, seulement 25 et 27% des analyses de terrains de sports possèdent des concentrations inférieures aux seuils moyens de recommandations. Cela signifie en d ‘autres termes que ces sols sont très largement pourvus dans les différents éléments nutritifs.
Pour le calcium, quasiment toutes les analyses possèdent plus de calcium que la recommandation moyenne. Ceci provient du fait que la CEC est plus élevée et que la proportion de calcium reste équivalente sur les sites d’échange : la quantité totale de calcium augmente donc proportionnellement avec la CEC.
Enfin, la concentration médiane des analyses en Phosphore Joret-Hébert correspond à peu près aux recommandations moyennes des laboratoires. Cette dernière étant probablement surestimée, la teneur médiane des analyses reste très élevée mais, fait intéressant, est inférieure à celle des greens de golfs (fertilisation en phosphore plus importante ? Taux de matière organique plus élevé ?).
Toujours est-il qu’en observant les concentrations élevées de la plupart des nutriments dans les terrains de sports, on se rend compte qu’il apparaitrait raisonnable de limiter les apports en phosphore, potassium et magnésium à l’aide d’un suivi régulier avec des analyses de terres. Dans l’état actuel, il apparait aussi évident qu’une fertilisation soutenue en phosphore, potassium et magnésium implique directement des lessivages non négligeables puisque le sol moyen sportif semble déjà saturé.
Seuils de recommandations : trop élevés et inadaptés dans un contexte de développement durable ?
Finalement, les greens de golfs nous apprennent un fait intéressant : la plupart des analyses contiennent moins d’éléments nutritifs que les seuils de recommandations alors que les surfaces analysées sont dans un état de performance et qualité satisfaisants.
Ainsi, il apparaitrait probable que les seuils de recommandations soient trop élevés voire inatteignables suivant le type de sol et sa capacité d’échange cationique. Dans ce cas, inutile de réaliser des apports de potassium, magnésium ou phosphore, ces éléments auront de forte chance d’être lessivés.
Pour les terrains de sports, les seuils de recommandations sont atteignables et largement atteints pour la plupart des analyses disponibles. Pourquoi alors apporter un élément non nécessaire ? Il aura toutes les chances d’être lessivé et constituera une pollution du milieu naturel.
Il apparait ainsi évident que les seuils peuvent être revus à la baisse puisque la plupart des surfaces analysées sont sub-optimales malgré des écarts parfois importants entre les recommandations et les valeurs mesurées.
Micah Woods fait le même constat dans un de ces articles avec les analyses du Global Soil Survey (un projet collaboratif d’échange des analyses de terres réalisées par les intendants de surfaces engazonnées) basées sur la méthode Mehlich III. La plupart des analyses reçues se situent largement en-dessous des seuils du SLAN. Les résultats sont visibles dans le tableau 6.
A titre de comparaison, j’ai réalisé le même genre d’étude avec ma base de données d’analyses de greens de golfs et la méthode à l’acétate d’ammonium neutre en comparant les résultats d’analyses au SLAN disponible aux USA avec l’acétate d’ammonium neutre (seuils issus de la publication de Carrow et al. de 20049).
Si l’on compare la méthode Mehlich III et la méthode française à l’acétate d’ammonium neutre et si l’on considère que l’échantillon français d’analyses de greens de golfs dont je dispose est représentatif de l’échantillon de Micah Woods (84 greens de golfs issus du Global Soil Survey) on peut se rendre compte que sauf pour le calcium et le phosphore, une proportion équivalente ou plus importante de greens de golfs sont en-dessous des seuils de recommandations. Il se pourrait donc que les recommandations SLAN pour l’acétate d’ammonium neutre soient encore plus éloignées du minimum envisageable pour ce type de surface engazonnée.
C’est depuis ces mêmes constats que Micah Woods et Pace Turf ont tenté de mettre en place leur nouveau système de seuil : le MLSN.
Le nouveau système : MLSN ou NMND
L’idée principale est de trouver un seuil minimum en-dessous duquel l’élément devient limitant en termes de croissance. C’est à partir d’une base de données de plusieurs milliers d’analyses de greens de golf de qualité et performance satisfaisantes qu’on été déterminés les seuils MLSN20. Ces seuils sont basés sur la méthode Mehlich III qui a l’avantage de n’utiliser qu’un seul mélange de réactifs d’extraction pour l’ensemble des nutriments.
Cette méthode n’est cependant pas disponible en France et c’est pourquoi j’ai tenté de déterminer ces mêmes seuils avec la méthode à l’acétate d’ammonium neutre utilisée par les laboratoires français.
Ainsi, pourquoi se baser sur des recommandations probablement trop élevées alors que des greens fonctionnent très bien avec des concentrations plus faibles de nutriments ? Autant se baser sur la tranche de valeur la plus faible de greens aux performances optimales ! C’est le raisonnement à la base de la méthode MLSN.
Le seuil représente au final la valeur qui sépare les 10% des analyses avec les plus faibles concentrations en nutriments des 90% d’autres analyses (1er décile). Ces 10% sont bien évidemment constitués de greens de golfs de qualité et performances satisfaisantes. Ces 10% représentent en quelque sorte une marge de sécurité par rapport aux valeurs minimales mesurées dans la série d’analyses de greens de golfs aux performances optimales.
Le concept repose ainsi sur des concentrations limites les plus faibles possibles pour obtenir un green de qualité satisfaisante : il s’inscrit donc parfaitement dans une logique de développement durable avec une réduction contrôlée des intrants fertilisants. En pratique, la méthode permet de limiter les pollutions environnementales par lessivage et de limiter les problématiques sanitaires liées aux excès d’intrants fertilisants.
Le but final est d’apporter uniquement les nutriments nécessaires :
- D’abord et principalement l’azote nécessaire à la croissance (malheureusement très peu stocké dans les sols sous une forme disponible)
- Mais aussi les autres éléments lorsque la concentration au sol devient limitante (voir mon article à ce sujet sur les principes théoriques du raisonnement).
Seuils MLSN/NMND
Les valeurs seuils MLSN avec la méthode Mehlich III et NMND (Niveau Minimum pour une Nutrition Durable) sont présentées dans le tableau 7. Pour les seuils NMND, j’ai utilisé la même méthode que Micah Woods et Pace Turf avec un échantillon d’analyses de terres de greens de golfs de bonnes qualité et performance (voir l’article à ce sujet). J’ai également ajouté les valeurs de MLSN calculées par Quirine Ketterings de l’université de Cornell qui a appliqué des conversions depuis la méthode Mehlich III vers la méthode à l’acétate d’ammonium neutre (corrélation approximative mais permet une comparaison avec mes valeurs).
Avec la collaboration d’autres Greenkeepers français, les seuils pourraient être progressivement ajustés avec de nouvelles analyses pour améliorer la robustesse et la fiabilité de la méthode. Le principe reste le même : utiliser la tranche basse des concentrations en nutriments pour des surfaces sportives engazonnées considérées optimales en terme de qualité et de performance.
En ce qui concerne le potassium et le magnésium, les valeurs NMND se rapprochent des valeurs calculées par conversion de Quirine Ketterings.
Son seuil pour le calcium est sensiblement inférieur mais s’explique encore une fois par le fait que la méthode à l’acétate d’ammonium neutre extrait trop de calcium sur les sables calcaires souvent rencontrés sur les greens français. Un nouveau tri de la base de données permettrait peut-être d’ajuster la valeur NMND pour le calcium mais le gain n’est pas intéressant puisque le calcium est très rarement limitant sur les greens français et ne constitue donc pas un problème.
Les intendants de golfs ou de surfaces sportives soucieux de limiter leur impact sur l’environnement par le biais des intrants fertilisants devraient finalement se référer à ces nouveaux seuils.
Conclusion : vers une approche plus raisonnée de la fertilisation
Finalement, les données de terrain donnent raison à la nouvelle méthode d’interprétation d’analyse de terre MLSN/NMND. Une majorité des greens de golfs français se situent en dessous des seuils de recommandations proposés par les laboratoires français ou par les recommandations américaines (SLAN). Pour autant, les greens de golfs analysés sont pour la plupart d’une qualité et performance optimales, sans problème majeur.
Ainsi, il semblerait que les seuils de recommandations constituent un objectif largement suffisant ou plutôt excessif, voire inatteignable dans une grosse majorité des cas de sols sableux à faible capacité d’échange cationique.
Pour les surfaces dont les coûts environnemental et financier ne sont pas limitants, les seuils usuels de recommandations peuvent continuer à être utilisés puisqu’ils assurent avec beaucoup (trop ?) de marge une quantité suffisante d’éléments nutritifs pour la plante. On pourra toutefois regretter les cas où les seuils ne peuvent pas être atteints malgré des quantités importantes d’engrais appliqués qui sont lessivées.
Pour les surfaces dont l’impact environnemental est un enjeu ou un souhait, ou encore les surfaces où le budget est facteur limitant, l’application des seuils NMND est souhaitable et recommandée.
Les seuils NMND permettent ainsi aux intendants de surfaces sportives engazonnées soucieux de leur impact sur l’environnement et/ou adeptes de la fertilisation précision de pratiquer une approche de la fertilisation avec des seuils raisonnés/réalistes dont l’impact sur l’environnement est le plus limité possible.
Une prochaine partie plus pratique concernant les calculs à faire depuis l’analyse de terre jusqu’à l’estimation des quantités d’engrais à appliquer en tenant compte du MLSN/NMND sera bientôt disponible.
Bibliographie
- Guevara, J. L. (2021). Effect of different soil testing philosophies on creeping bentgrass (Agrostis palustris huds.) and annual bluegrass (Poa annua) putting greens. Thèse de Master Université du Michigan, 46 p. https://d.lib.msu.edu/etd/50076
- Hesselsoe, K. J., Ogaard, A. F. & Aamlid, T. S. (2020). Phosphorus for turfgrass – The SUSPHOS project. STERF popular scientific articles 4 p. https://www.fegga.org/wp-content/uploads/susphos-english.pdf
- Hesselsoe, K. J., Borchert, A. F., Ogaard, A. F. & Aamlid, T. S. (2021). Extra phosphorus (P) – fertilization in spring not needed. STERF popular scientific articles 4 p. https://www.sterf.org/Media/Get/3750/extra-phosphorus-fertilization-in-spring-not-needed
- Woods, M. S., Stowell, L. J. & Gelernter, W. D. (PeerJ Inc., 2016). Minimum soil nutrient guidelines for turfgrass developed from Mehlich 3 soil test results. https://doi.org/10.7287/peerj.preprints.2144v1
- Borchert, A., Rosenbusch, J., Hesselsøe, K., Aamlid, T. & Prämaßing, W. (2020). Einfluss unterschiedlicher P-Düngeempfehlungen auf die Nährstoffgehalte im Boden und die Qualität von Golfgrüns am Beispiel des Golfplatzes Dütetal (Osnabrück). 62–66
- Denoroy, P., Villette, C., Colomb, B. & Dubrulle, P. RegiFert. Interpréter les résultats des analyses de terre.
- Auréa. Regifert : interprétation des analyses ‘grandes cultures’. Wiki Auréa page web, https://wiki.aurea.eu/index.php/Regifert
- Saint John, R. A. (Iowa State University, 2005). Soil testing methods and basic cation saturation ratios of creeping bentgrass greens.
- Carrow, R. N. et al. (2004). Clarifying soil testing: III. SLAN sufficiency ranges and recommendations. Golf Course Management 72, 194–198
- Loew, O. & May, D. W. (1901). relation of lime and magnesia to plant growth. USDA Bureau of Plant Industries Bulletin 1, 53 p.
- Culman, S. W. et al. (2021). Base cation saturation ratios vs. sufficiency level of nutrients: A false dichotomy in practice. Agronomy Journal n/a, https://doi.org/10.1002/agj2.20787
- Gaspar, A. & Laboski, C. A. M. (2016). Base Saturation : What is it? Shoud I be concerned? Does it affect my fertility program? Proceedings of the 2016 Wisconsin Crop Management Conference 55, https://extension.soils.wisc.edu/wcmc/base-saturation-what-is-it-should-i-be-concerned-does-it-affect-my-fertility-program/
- Bear, F. E. & Toth, S. J. (1948). INFLUENCE OF CALCIUM ON AVAILABILITY OF OTHER SOIL CATIONS. Soil Science 65, 69–74
- Graham, E. R. (Ellis R. (University of Missouri, Agricultural Experiment Station, 1959). An explanation of theory and methods of soil testing.
- Baker, D. E. (Pennsylvania State University, College of Agriculture, Agricultural Experiment Station, 1981). development and interpretation of a diagnostic soil-testing program.
- Whitlark, B. (2009). Overcome your infatuation with Base Saturation. Green Section Record 47, 10–13
- Simmons, J. (1997). Calcium : the New Vogue. Turf Net Monthly Special Reprint,
- Schlossberg, M. J. & Simmons, J. (2012). SportsTurf’s Point-Counterpoint: SLAN vs. BCSR. Sports Turf January 2012, 24–31
- Meentemeyer, B. & Whitlark, B. (2016). Turfgrass Fertilization : Supplement only when needed to provide better turf and playability. Green Section Record 54, 1–7 http://gsrpdf.lib.msu.edu/?file=/article/meentemeyer-whitlark-turfgrass-5-6-16.pdf
- Stowell, L. J. & Woods, M. S. (2014). Minimum levels for sustainable nutrition (MLSN). Pace Turf publication web 1p. https://www.paceturf.org/journal/minimum_level_for_sustainable_nutrition