Introduction
L‘évolution des pratiques actuelles tend vers la diminution des intrants dans le but de limiter l’impact des surfaces engazonnées sur l’environnement. Alors que le plan Ecophyto II encadre déjà largement la diminution de l’utilisation des produits phytosanitaires, il semble très probable que l’utilisation d’engrais de synthèse soit contrôlée dans les années à venir.
Les sols sportifs engazonnés intensifs sont généralement constitués d’une majorité de sables avec un stock de matière organique faible apporté à la construction. La capacité du milieu à stocker les éléments nutritifs (capacité d’échange cationique ou C.E.C) est relativement faible par rapport à des sols naturels même si cette dernière augmente avec le vieillissement de la surface (accumulation de matière organique). Les gazons sont globalement des bons consommateurs d’azote, dans le cadre des surfaces intensives sportives.
L’azote en ce sens, est peu retenu dans le sol et représente une source non négligeable de pollution par lessivage. Il est important de souligner l’évolution technologique dans ce domaine d’une part et l’évolution des pratiques de la filière d’autre part.
En effet, un grand nombre de références utilisées à l’heure actuelle dans la filière utilisent des sources d’azote à libération lente dont le but est de relarguer lentement l’azote en tentant au plus près des besoins temporels de la plante. Certaines références permettent également de contrôler la libération des autres éléments nutritifs comme le phosphore, le potassium, ou autres éléments mineurs et secondaires par le biais d’enrobages même si l’affinité de ces éléments pour les particules de sols est plus grande avec souvent un stock non négligeable pour les besoins du gazon.
La filière a également oeuvré pour la diminution des quantités d’azote appliquées (et par conséquent des autres éléments puisque que les engrais utilisés sont très souvent binaires ou ternaires) avec des résultats plutôt satisfaisants du point de vue sanitaire. Aussi les pratiques actuelles pourraient encore être optimisées dans certains cas et notamment pour les éléments nutritifs non limitants et présents en quantités souvent suffisantes dans les sols : phosphore, potassium, magnésium et oligo-éléments.
La dernière décennie a vu apparaître de nouvelles méthodes d’interprétation des analyses de terre (comme le MLSN) mais également des pratiques de fertilisation dite « de précision ». Ces méthodes plutôt novatrices et encore peu utilisées sont de plus en plus étudiées pour leur potentielle efficacité et plus faible impact sur l’environnement. Les informations sur ces méthodes sont souvent disséminées à droite et à gauche sur le web et quasi intégralement en anglais. C’est pourquoi je trouvais intéressant de réaliser une série d’articles sur le sujet afin de mettre à disposition des intendants français des informations claires et utiles pour promouvoir ces nouvelles méthodes.
Cette première partie constitue une introduction théorique aux différents concepts. D’autres parties traiteront ensuite des aspects pratiques de ces méthodes.
La gestion des nutriments dans la plante
La croissance d’une plante dont le gazon dépend de différents facteurs. Les facteurs déterminants sont la température, la quantité de lumière photo-assimilable et la disponibilité en eau.
L’eau d’une part est un constituant essentiel des plantes. Elle leur permet de se rafraîchir à travers le processus de transpiration lors de la période estivale ou encore de synthétiser les sucres lors de la photosynthèse.
La quantité de lumière photo-assimilable d’autre part dépend de la durée des jours mais aussi de l’intensité lumineuse qui varie au long des saisons. Les plantes se servent de cette énergie lumineuse pour réaliser la photosynthèse, processus central chez les végétaux leur permettant de synthétiser des sucres (hydrates de carbone) à partir du dioxyde carbone de l’atmosphère et de l’eau prélevée dans le sol. Ces sucres représentent une source d’énergie et des matériaux indispensables et sont utiles dans la formation de nouveaux thalles ou racines.
La température contrôle enfin la cinétique de la plupart des processus biochimiques au sein de la plante et précisément la rapidité à laquelle de nouvelles feuilles ou racines sont formées tout au long de l’année.
En général, il est admis que la température est le facteur limitant la croissance au printemps après l’hiver et ses températures parfois négatives alors que c’est plutôt le manque de à l’automne alors que les sols sont encore assez chauds après avoir emmagasiné la chaleur estivale. Durant la période chaude, la quantité de lumière photo-assimilable devient maximale. Suivant la région du globe, les températures peuvent néanmoins devenir trop élevées pour les espèces de saison froide (30°C pour graminées en C3) et le processus de photosynthèse et la croissance sont par conséquent ralentis.
Parmi ces paramètres, seule la quantité d’eau peut être gérée par l’intendant par le biais de son système d’irrigation et des arrosages sur la plupart des surfaces engazonnées. On notera l’exception des stades fermés de haut niveau où la température du sol peut être contrôlée durant la période hivernale, la température foliaire par le biais des ventilateurs ou encore la quantité de lumière photosynthétique avec l’aide des rampes de lumière artificielle.
Les différents stress biotiques (insectes, champignons et bactéries pathogènes) ou abiotiques autre que la température (opérations mécaniques lourdes, piétinement intensif) peuvent aussi limiter la croissance de la plante.
Ainsi, ce potentiel de croissance est défini principalement, sauf exceptions mentionnées plus haut, par la météorologie de chaque site pour chaque saison, celle-ci variant de jour en jour (voir figure 1). Une conséquence pratique est l’impossibilité de forcer la croissance du gazon alors que les conditions météorologiques sont très défavorables. Par exemple, s’il gèle ou que le ciel est nuageux depuis plusieurs semaines, la croissance devient limitée même en appliquant des quantités démesurées d’azote soluble.
Le saviez-vous ?
Basé sur les températures, le modèle « Growth Potential » de Pace Turf (L. Stowell et G. Gelernter) estime la croissance potentielle du gazon en unités arbitraires (0% = croissance nulle et 100% = croissance maximale). Le but final est d’adapter et prévoir les besoins nutritifs du gazon en rapport aux caractéristiques climatiques de chaque site. C’est un modèle simple de croissance exponentiel qui demande une température optimale de croissance pour la graminée considérée (recommandée à 20°C pour les C3 par exemple), la température moyenne du moment et une variance fixée ou ajustable suivant les besoins (recommandée à 5.5 pour les C3).
Ainsi, le potentiel de croissance est calculé de la manière suivante :
Ce modèle est bien utile pour estimer à l’avance les besoins du gazon à l’aide des prévisions météorologiques. Il est aussi possible de réaliser un modèle moyen de croissance et de nutrition suivant les moyennes de température de chaque site et d’y adapter un plan prévisionnel de fertilisation.
Croissance potentielle et nutrition
Azote : le facteur limitant
La demande en nutriments de la plante est proportionnelle à la croissance du moment. La lumière, la température et l’eau fixent la croissance maximale potentielle que peut atteindre le gazon à ce moment donné.
La croissance réelle ou observée dépendra alors de la disponibilité des différents éléments nutritifs et principalement de l’azote. De nombreuses études menées ces 30 dernières années ont en effet montré que les gazons entretenus selon les méthodes d’entretien classiques se retrouvent en permanence en situation de « carence » azotée avec une croissance sous-optimale1–3. Ceci signifie que dans des conditions de lumière et températures optimales, la croissance du gazon pourrait être largement supérieure à celle observée. Des apports d’azote supplémentaires permettraient donc de gagner en croissance jusqu’à atteindre un plateau fixé par le potentiel de croissance du moment (lumière, température, eau). Dans des conditions optimales de température, de lumière et de disponibilité en eau, l’azote représente donc le facteur limitant de la croissance.
C’est donc l’intendant qui fixe, à travers la quantité d’azote annuelle appliquée, le degré de carence du gazon.
Ainsi, Kussow et al. en 2012, ont montré qu’un bilan annuel de 150 à 300 kg N/ha pour une agrostide stolonifère ne représente que 15 et 30% des quantités nécessaires pour atteindre la croissance maximale de l’espèce1.
Les scientifiques ont en effet appliqué tout au long d’une saison différentes quantités d’azote seul (urée 46-0-0) jusqu’à des doses astronomiques et jamais utilisées dans la maintenance des pelouses sportives (0 à 1032 kg N/ha/an). Les espèces de gazon testées étaient l’agrostide stolonifère (variété « Penncross ») et le pâturin des prés (variété inconnue) tondus à 6.4 cm. Alors que le pâturin des prés semble atteindre un pallier de croissance à 858 kg N/ha/an, l’agrostide stolonifère continue de croître linéairement à 1032 kg N/ha/an, montrant que le pallier de croissance maximale n’était pas atteint (voir figure 2).
La publication de Bowman et al.2, en 2003 appuie également l’observation selon laquelle l’azote est limitant dans la croissance du gazon.
L’équipe a mesuré la croissance d’un raygrass anglais (variété « Manhattan II ») en fonction de la quantité de lumière assimilable (DLI en mol/m²/jour) et de différentes quantités d’azote apportée de manière journalière (voir figure 3). Lorsque l’azote est plus limitant que la quantité de lumière photo-assimilable (0.56 à 2.78 kg N/ha/jour) la quantité de lumière n’a aucun impact significatif sur la croissance qui reste aux alentours de 70 kg de déchets de tonte/ha/jour. Lorsque l’azote n’est plus limitant (5.56 kg N/ha/jour et 11.1 kg N/ha/jour) la croissance est significativement affectée par la quantité de lumière disponible (de 120 kg/ha pour 10 mol/m²/jour à un peu moins de 200 kg/ha et par jour pour 30 mol/m²/jour pour un apport d’azote soluble de 11.1 kg N/ha/jour).
Si l’azote est facteur limitant, alors des applications supplémentaires ont un effet positif sur la croissance et sur la concentration foliaire en azote de manière linéaire. Cette dernière observation est d’ailleurs largement relayée par de nombreuses publications sur les gazons1,2,4–7 (voir figure 5). En Suède, Ericsson et al. vérifient cette hypothèse sur plusieurs espèces de gazon, en conditions contrôlées mais également en conditions réelles (agrostide stolonifère, agrostide des chiens, fétuques rouges traçante et gazonnante)4,5.
L’étude de Bowman et al. apporte aussi quelques preuves supplémentaires2. Les gazons (raygrass anglais, variété Manhattan II) sur lesquels ont été apportées des quantités d’azote considérées limitantes sur la croissance (0.56 kg à 2.78 kg N/ha/jour) ont une concentration en azote dans les tissus foliaires inférieure à 4.3% et accumulent peu de nitrates (NO3–). Dans ces conditions, alors que la concentration en azote total augmente dans les feuilles suivant la quantité d’azote appliquée, la concentration en nitrate reste faible et stable. Pour les quantités d’azote non limitantes pour la croissance (5.56 kg N/ha/jour et 11.1 kg N/ha/jour) les concentrations foliaires en azote sont supérieures à 4.3% et c’est alors que les nitrates s’accumulent dans les tissus, signe que le prélèvement d’azote par la plante dépasse les besoins nécessaires à la croissance du moment. Ces nitrates n’ont en effet pas pu être réduits par la plante et n’ont pas contribué à la biosynthèse des protéines ou à la productivité de la plante.
Les auteurs supposent également que la croissance maximale de la variété de raygrass est atteinte pour une concentration foliaire en azote proche de 4.5%. Dans ces conditions de croissance maximale, la proportion de nitrates accumulée dans les tissus foliaire approche 5 à 10% de l’azote total2. Cette valeur semble toutefois à relativiser suivant l’espèce et la variété car cette accumulation de nitrates commence dès 3% dans une autre étude pour une fétuque élevée8 et il n’est pas rare d’observer des concentrations allant au-delà de 6% avec des valeurs moyennes autour de 5.2% pour du raygrass anglais sur terrains de sports hybride de haut niveau.
La figure 6 résume enfin l’impact de l’azote sur la croissance du gazon et notamment la différence entre croissance potentielle qui représente le maximum de croissance de la plante suivant les conditions de température, lumière et disponibilité en eau du moment la croissance réelle observée. En exemple, un cas de maladie se déclare en été et réduit momentanément la croissance réelle malgré une quantité de lumière et une température optimale.
Phosphore, potassium et croissance
Qu’en est-il du rapport entre la croissance et les autres éléments nutritifs majeurs : phosphore et potassium ? Ces deux éléments nutritifs se retrouvent dans des concentrations relativement élevées dans les sols, suivant le type de sol. Il faut entendre « suffisamment élevé » par « suffisant pour répondre aux besoins de la plante, avec les croissances observées sur les pelouses sportives dans le cadre d’un entretien usuel ». Ainsi, dans la plupart des études réalisées sur l’impact du phosphore ou du potassium sur la croissance du gazon, il semble que la quantité de phosphore ou de potassium apportée n’aient souvent pas ou très peu d’impact sur la croissance alors que les quantités d’azote apportées influent toutes significativement cette dernière1,6,9–15.
Pour une quantité d’azote fixée, l’apport supplémentaire de phosphore ou potassium n’a pas ou peu d’impact sur la concentration foliaire de ces deux éléments nutritifs. Avec 195 kg N/ha/saison appliqué sur agrostide (variété Penncross) tondue à 13 mm, Kussow et al. montrent que des apports de phosphore (21 kg P/ha) et/ou potassium (121 kg K/ha) ne modifient pas la concentration foliaire des deux éléments nutritifs1. Dans cette étude, la disponibilité en phosphore et potassium est supérieure aux recommandations minimales pour les deux éléments nutritifs (62 mg/kg pour P et 180 mg/kg pour K avec la méthode Bray-1).
La majorité des publications portant sur la relation entre la concentration en éléments nutritifs du sol et la concentration foliaire dans les tissus montrent également une absence de corrélation dès lors qu’une concentration minimale de l’élément nutritif au sol est atteinte pour soutenir la croissance du moment1,6,11,12. Un exemple assez clair est la publication de Kussow et al. en 20121 dans laquelle des analyses couplées de concentrations en éléments nutritifs au sol et foliaire ont été réalisées sur une saison pour 419 golfs du Wisconsin. L’analyse des données ne montre aucune corrélation claire entre concentration au sol et concentration foliaire (voir figure 7). Selon eux, les concentrations en phosphore et potassium n’étaient pas limitantes dans la plupart des golfs d’où cette impossibilité de remarquer une corrélation entre sol et tissus foliaires.
Ces dernières observations impliquent que dans les conditions de croissances usuelles rencontrées sur les pelouses sportives, l’azote est facteur limitant et ce sont les doses appliquées d’azote qui permettent d’augmenter ou diminuer la croissance. Le phosphore et le potassium se retrouvent la plupart du temps en quantités suffisantes pour subvenir aux besoins de croissance de la plante.
Selon mes bases de données d’analyses réalisées sur sols sportifs français, la concentration médiane en potassium pour les terrains de sports tere/sable est de 190 mg/kg, 214 mg/kg pour les terrains de sports hybrides et 70 mg/kg pour les greens de golf (méthode à l’acétate d’ammonium neutre NF X 31-108).
Pour le phosphore, la concentration médiane est de 138 mg/kg pour les terrains de sports terre sable, 82 mg/kg pour les terrains hybrides et 200 mg/kg pour les greens de golf (méthode Joret-Hébert, NF X 31-161). Par rapport aux données de la littérature, il semblerait que ces concentrations soient largement suffisantes et bien au-dessus des concentrations minimales recommandées pour éviter les carences et les effets indésirables sur la croissance pour les gazons16,17.
Pour résumer :
la croissance gouverne les besoins en éléments nutritifs. Dans les conditions usuelles d’entretien des pelouses sportives, l’azote est le facteur limitant et par conséquent, le prélèvement en phosphore et potassium par la plante se fait selon la quantité d’azote appliquée.
La plupart des données disponibles dans les études ou à partir d’analyses foliaires montrent bien la relation étroite entre les différentes concentrations en éléments nutritifs. Il existe ainsi une relation claire de proportionnalité entre azote, phosphore et potassium dans les tissus foliaires et entre la croissance et la concentration foliaire en éléments nutritifs (voir figure 9).
Kussow et al., en 2012 montrent ainsi la relation claire qui existe entre croissance et prélèvements en nutriments pour la variété Penncross d’agrostide stolonifère ayant reçu des doses variables d’azote, phosphore et potassium sur une saison (voir figure 8)1.
Cet exemple illustre parfaitement le lien entre croissance et prélèvements en éléments nutritifs. Comme l’azote est le facteur limitant de la croissance, cela revient à dire que la quantité d’azote appliquée indique quelles quantités de phosphore et potassium vont être prélevées dans le sol.
Un autre fait intéressant est la proportionnalité entre les différents éléments. Si l’on examine le rapport des concentrations en azote, phosphore et potassium dans la plante par le biais des analyses foliaires, on se rend compte que celui-ci est quasiment constant, quelles que soient les concentrations et la croissance1,6. Ce rapport est en général proche de 6-1-3 en moyenne (6-2.2-3.6 environ en oxydes), équilibre que l’on retrouve d’ailleurs à peu près dans les engrais de croissance de type 20-5-10 (équivaut à 6-1.5-3 en oxydes). Pour les terrains de sports hybrides, où la fertilisation est soutenue, on retrouve un équilibre un peu plus potassique avec 6-0.7-4.4 (6-1.6-5.3) en oxydes, voir figure 9).
Ericsson et al. mènent d’ailleurs à bien l’entretien de différentes espèces de gazon maintenus comme des green de golfs sur deux saisons à l’aide d’une seule formule d’engrais de rapport 51-10-43 (équivalent à 6-1.2-5.1 soit 6-2.7-6.1 en oxydes) montrant bien que ce ratio en élément nutritifs permet une bonne nutrition des gazons5.
En suivant ce raisonnement, une première implication est que l’on peut prévoir que pour 6 kg N/ha (azote) utilisées par la plante, on aura 2.2 kg P2O5 (phosphore) prélevé et 3.6 kg K/ha (potassium). Ce ratio entre éléments nutritifs ne change peu ou pas au cours de la saison.
Autres éléments secondaires et oligo-éléments
La même logique peut être accordée pour les autres éléments nutritifs. Du moins c’est ce que montre encore Kussow et al. dans leur étude1 avec une relation encore linéaire entre croissance et prélèvements en éléments secondaires comme le magnésium, calcium et soufre (voir figure 10).
Seuils minimaux dans le sol : BSR, SLAN & MLSN
Le raisonnement évoqué plus haut implique que la croissance du gazon est rendue possible si la disponibilité en éléments nutritifs permet le prélèvement de la bonne quantité de chacun d’entre eux par la plante. Alors que l’azote est difficilement stockable sous ses formes solubles et facilement lessivable, les autres éléments nutritifs se retrouvent dans des proportions la plupart du temps convenables dans les sols sportifs.
La quantité d’azote disponible (principalement engrais appliqués mais aussi minéralisation de la matière organique lorsque la température du sol permet une activité microbienne suffisante) fixe la croissance et la plante prélève alors dans le sol ce dont elle a besoin en autres éléments nutritifs.
A l’origine, les analyses de terres servent à déterminer si le sol a besoin d’apport d’engrais (phosphate di-ammonique par exemple si le sol manque de phosphore ou sulfate de potassium si le sol manque de potassium). Ce besoin est fixé suivant la capacité du sol à fournir la quantité de l’élément souhaité pour éviter tout problème sur la croissance ou le rendement. Ce raisonnement est parfaitement valable pour une culture dans le monde agricole puisque le but final est de récolter. Pour le gazon, tout est plus complexe car le rendement (croissance) n’est pas une fin en soi. La logique veut que les seuils des analyses soient fixés pour éviter tout impact sur la croissance du gazon. La plupart des recommandations pour le gazon sont basées sur les recommandations agricoles ou cultures fourragères.
Ainsi, pendant des années, les interprétations pour le gazon aux USA ont ainsi été basées sur un « niveau suffisant de nutriments disponibles » (SLAN : sufficient level of available nutrients) ou sur l’équilibre de saturation des bases échangeables (BSR : Base Saturation Ratio)18 avec des interprétations qui dépendaient de chaque laboratoire19.
Le raisonnement sur l’équilibre des bases échangeables (BSR) considère qu’un rendement maximal peut-être atteint si un équilibre idéal est atteint entre les différentes bases (calcium, magnésium, potassium, sodium)19. En pratique, ce ratio idéal est parfois inatteignable et mène à des applications d’engrais parfois excessives pour corriger l’équilibre observé19.
Dans le raisonnement sur les « niveaux suffisants » (SLAN), quand la concentration d’un élément nutritif du sol est optimale, une réponse en termes de croissance n’est pas attendue si l’on applique cet élément nutritif sous forme d’engrais et aucun ajout de cet élément n’est requis pour cet élément si le sol est analysé annuellement. Quand la concentration est inférieure au seuil optimal, toute addition de l’élément nutritif entraine une réponse en termes de croissance18 . Différents types de seuils existent suivant la probabilité d’obtenir une réponse de culture en termes de croissance. Évidemment, il est très difficile d’évaluer en pratique des concentrations suffisantes suivant le type de sol, l’espèce ou les variétés présentes et c’est pourquoi ce système n’est pas exempt de critiques16. Il a notamment été démontré sur différentes cultures que le rendement maximal n’est pas forcément atteint pour le seuil estimé et que les apports en nutriments sont parfois excessifs en rapport aux besoins de la culture19.
Alors que l’équilibre de saturation des bases échangeables est moins utilisé aujourd’hui car peu fiable, les recommandations conventionnelles classiques reposent sur le SLAN, plus ou moins mis à jour sur un grand nombre de cultures et variables suivant les régions ou le laboratoire. En France, les laboratoires basent également leurs recommandations suivant le principe des niveaux suffisants mais les interprétations diffèrent suivant le laboratoire.
En pratique, la plupart des méthodes d’interprétations permettent d’obtenir des surfaces engazonnées fonctionnelles mais surestiment souvent les concentrations minimales nécessaires pour maintenir une croissance optimale du gazon, induisant probablement des applications d’engrais non nécessaires, du lessivage et potentiellement un risque sanitaire plus élevé. De plus, l’analyse de terre est rarement utilisée correctement pour bâtir un plan de fertilisation répondant aux besoins réels du gazon puisque l’équilibre des engrais disponibles fixe le bilan annuel en éléments nutritifs et empêche de s’adapter aux besoins précis du gazon.
Récemment, une nouvelle méthode basée sur une analyse statistique des analyses de terres de milliers de golfs avec des surfaces engazonnées considérées comme de bonne qualité a vu le jour : MLSN ou « Minimum Level of Sustainable Nutrition » que j’ai traduit par NMND ou « Niveau Minimum pour Nutrition Durable ».
Cette méthode, développée par PACE TURF (L. Stowell et G. Gelernter) et Micah Woods a donné lieu à une publication en 201616. Le principe repose sur les raisonnements décrits précédemment et sur l’observation que des sols sportifs qui fonctionnent bien qualitativement contiennent une quantité suffisante d’éléments nutritifs pour le bon développement des gazons. Ainsi, en prenant une certaine marge de sécurité, les concentrations minimales observées dans le jeu de données sont retenues. Basée sur les méthodes d’analyse américaines (Mehlich III pour K, P, Ca, Mg et S et encore Olsen pour P) cette nouvelle méthode est de plus en plus utilisée à l’heure actuelle car elle fonctionne très bien en pratique. De nombreux golfs et centres de recherche testent actuellement la méthode. C’est par exemple le cas de l’université du Michigan.
En France, j’ai tenté de faire une adaptation avec nos méthodes d’analyses (acétate d’ammonium neutre pour K, Ca, Mg et Joret-Hébert pour P) car les méthodes utilisées aux USA ne sont pas pratiquées en routine. Les résultats de cette adaptation sont disponibles sur cet article de la clinique du gazon.
Vers une nouvelle méthode de fertilisation
A l’heure actuelle, les plans de fertilisation déterminent à l’avance la croissance potentielle du fait d’une quantité d’azote déterminée. L’équilibre des engrais utilisés fixe ensuite les quantités de phosphore et de potassium appliqués au sol (par exemple 20-5-10 en période de croissance ou 10-5-20 en période de stress ou estivale) et l’équilibre global entre les nutriments. Les autres éléments apportés par les engrais viennent enrichir le sol qui est déjà potentiellement pourvu.
Malheureusement, les sols sportifs sont souvent sableux avec des capacités d’échanges cationiques faibles et de ce fait, sujets au lessivage. Si les concentrations du sol en éléments nutritifs autres que l’azote sont suffisantes, nul besoin d’apporter ces éléments sous forme d’engrais. On peut imaginer le cas échéant les nombreux lessivages lors des apports de phosphore ou potassium d’un engrais ternaire (15-5-15 par exemple), dans des sols largement pourvus.
Aussi, en se basant sur la méthode MLSN et sur les principes de la fertilisation de précision, il devient possible d’ajuster la fertilisation au plus près des besoins de la plante, sans apports inutiles d’éléments nutritifs déjà pourvus dans le sol. La méthode se base sur l’application d’engrais azotés pour maintenir la croissance nécessaire au fil des saisons et sur le suivi précis de l’évolution de la concentration en éléments nutritifs. Elle permet alors de réaliser des apports de phosphore, potassium, magnésium, calcium ou oligo-éléments lorsque c’est nécessaire. Le but final est de limiter au maximum l’ajout d’intrants pour des programmes de maintenance les plus écologiques possibles (croissance contrôlée, pression sanitaire, lessivage et besoins en eau plus faibles).
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