Introduction
« L’agriculture de précision » ou le « greenkeeping de précision » en ce qui concerne les terrains de sports implique désormais l’utilisation d’outils technologiques complexes d’aide à la décision. Les sondes d’humidité du sol font partie de ce panel d’outils pour la bonne gestion de l’irrigation.
En pratique, l’intendant réalise de manière régulière (quotidiennement pendant la période estivale) des relevés d’humidité et estime ensuite une moyenne globale sur l’ensemble du terrain. A ce titre, l’échantillonnage et le nombre de mesures impactent de manière significative la moyenne globale estimée sur le terrain pour chaque relevé.
Le but de cet article est d’estimer le nombre de mesures suffisantes avec la sonde d’humidité POGO (capteur Hydraprobe de la société Stevens Water, revendue en France par la société Hydraparts) sur un terrain de football hybride pour obtenir une moyenne statistiquement représentative du terrain.
L’article est disponible en anglais en cliquant sur ce lien.
Matériel et méthode
Le terrain de l’étude est un terrain hybride de haut niveau équipé de la technologie AirFibr (substrat composé d’une matrice de sable, liège et fibres synthétiques, fabriqué par la société Natural Grass). Le terrain est équipé de 35 arroseurs Hunter I40 disposés en 7×5 arroseurs.
Pendant 10 mois (juin 2019 à mars 2020), 64 séries régulières de mesures d’humidité ont été réalisées avec la sonde POGO Mini. Entre 20 et 105 mesures ont été effectuées pour chaque série avec un standard de 63 mesures qui constitue une base que je considère relativement fiable mais trop chronophage pour un intendant, lorsque réalisée quotidiennement.
Pour les mesures, j’utilise une grille de 3 transects parallèles à la longueur du terrain avec un pas de mesure fixe (voir la figure 1). Pour la série standard de 63 mesures, l’espace entre chaque mesure est égal à 5 mètres. Pour des séries de 20 mesures et 105 mesures, celui-ci est respectivement de 3 et 15 mètres. Ce choix de grille a été fait initialement pour étudier les variations spatiales de l’humidité sur le terrain (géostatistique) et connaître les éventuelles tendances avec des zones plus sèches ou plus humides. Pour cette étude, la répartition non aléatoire en grille implique cependant un biais statistique qu’il est nécessaire de préciser. Dans une revue faite par Lawrence et al. en 2020 sur les stratégies d’échantillonnage1, un biais identique était présent sur le jeu de données utilisé.
Sur les 64 séries disponibles, les 26 séries contenant plus de 60 mesures ont été conservées pour l’étude. La méthode décrite par Micah Woods (dans un article évoquant le nombre minimal d’échantillons de sol à prélever pour la détermination des concentrations en calcium) elle-même tirée de l’excellente revue scientifique de Lawrence et al. sur les stratégies d’échantillonnage des sols1 a été adaptée et utilisée pour traiter le jeu de données.
Le principe consiste à réaliser :
a) un nombre élevé de tirages aléatoires (1000 dans la présente étude) sur des sous-échantillons de chacune des séries de plus de 60 mesures et de calculer leur moyenne arithmétique ou géométrique.
La moyenne géométrique est utilisée si la distribution de l’humidité suit une loi lognormale et la moyenne arithmétique est choisie si la distribution suit une loi normale suivant les recommandations de Lawrence et al.1 Le test de Shapiro-Wilk a été utilisé pour déterminer si la distribution était normale ou si le logarithme de la distribution était normal pour chaque série de mesures.
Ainsi, 1000 paires aléatoires, triplés, quadruplés, … , jusqu’au nombre de mesures exact n sont tirés sur le jeu de données. Les moyennes arithmétique ou géométrique sont ensuite calculées.
Le but est de voir quelle aurait été la moyenne estimée si 2,3,4, … ,n-1 mesures avaient été effectuées au lieu du nombre total n pour chacune des dates.
La précision souhaitée est fixée à 1% d’humidité autour de la moyenne des n mesures totales pour chaque série (moyenne des n mesures totales +/-1% : ce sont les points compris dans le rectangle formé par les lignes pointillées noires sur la figure 2).
b) Les moyennes comprises dans cet intervalle de précision sont ensuite sélectionnées. Le nombre de moyennes comprises dans ce niveau de précision est ensuite évalué pour chaque nombre de sous-échantillon 2,3,4, …,n.
c) Le nombre de sous-échantillons à partir duquel 95% des moyennes se retrouvent dans l’intervalle de précision choisi est ensuite déterminé (voir la figure 3). La précision est ainsi de 1% d’humidité avec une marge d’erreur de 5%.
L’ensemble des étapes a), b) et c) est effectué sur chacune des 26 séries de mesures.
On obtient ainsi le nombre de mesures minimal qu’il aurait fallu effectuer pour obtenir la moyenne du nombre total de points de mesures pour chaque date.
La moyenne et les quartiles de ces nombres minimaux de sous échantillons sont calculés sur les 26 séries et un intervalle de nombre de mesures minimal est estimé suivant cette distribution statistique.
L’ensemble des calculs a été réalisé avec le logiciel R, disponible gratuitement.
Résultats
Distribution de l’humidité
Pour la sonde POGO Mini, la distribution des humidités mesurées est normale dans 80% des cas (voir un exemple sur la figure 4). Seules 4 séries de mesures ne semblent pas suivre une loi normale. Ces séries ne semblent pour autant pas suivre une loi lognormale. La moyenne arithmétique a par conséquent été utilisée pour l’ensemble des séries.
Les histogrammes observés pour ces séries dont la distribution n’est pas normale correspondent à des cas :
- Où la moyenne correspond réellement au pic de l’histogramme. Cependant, un nombre non négligeable de faibles humidités est présent sur le terrain, impliquant un histogramme asymétrique. Ceci peut correspondre à un mauvais contact sonde-sol lors des mesures où des zones réellement sèches localement. Le volume d’influence de la sonde POGO Mini étant effectivement faible, la probabilité de trouver des zones localement plus sèches est plus élevée : voir l’article de la clinique du gazon à ce sujet pour plus d’informations.
- Où l’histogramme présente un pic principal correspondant à la moyenne et un pic secondaire (histogramme à « 2 pics»). Ce peut être le cas en présence d’une certaine anisotropie : lorsque l’humidité est dépendante de la direction sur le terrain (humidité plus importante au Nord qu’au Sud par exemple).
Nombre de mesures minimal pour obtenir une moyenne fiable
Les statistiques des nombres de mesures minimaux obtenus pour chacune des séries de mesures sont présentées dans le tableau ci-dessous. Pour rappel, ce nombre correspond au nombre minimal de mesures qu’il faut réaliser pour obtenir une moyenne proche d’un grand nombre de mesures (considéré fiable) avec une précision de 1% et pour un intervalle de confiance de 95%.
Propriété |
Nombre minimal de mesures estimé |
Nombre total de mesures pour la série correspondante |
Minimum | 17 | 62 |
1er quartile | 22 | – |
Médiane | 24 | – |
Moyenne | 24 | – |
3ème quartile | 27 | – |
Maximum | 35 | 122 |
75% des résultats sont compris entre 17 et 27 mesures. La moyenne et la médiane valent toutes les deux 24 mesures. Ainsi, avec la sonde POGO Mini et la technologie hybride AirFibr, il est statistiquement fiable d’effectuer entre 22 et 27 mesures pour obtenir une moyenne réaliste. La moyenne obtenue dans cette étude (24) peut ainsi être considérée comme nombre minimal de mesures pour déduire une moyenne fiable sur l’ensemble du terrain.
Biais éventuel entre nombre de mesures minimal et moyenne de l’humidité/nombre total de mesures
Afin de vérifier si le nombre minimal de mesures n’est pas biaisé par le nombre total de mesures ou par la moyenne de l’humidité sur le terrain, une analyse de la corrélation entre les différents paramètres a été réalisée. Les résultats vont dans le sens d’une absence de corrélation (voir figures 5 et 6). Les valeurs minimales du paragraphe précédent peuvent donc être utilisées avec fiabilité.
Conclusion & Discussion
Sur la technologie hybride AirFibr, il est nécessaire de réaliser entre 22 et 27 mesures pour obtenir une moyenne statistiquement fiable à l’échelle du terrain avec la sonde POGO Mini. Ainsi, l’intendant peut réaliser 24 mesures pour obtenir une moyenne fiable, qu’il pourra utiliser pour le suivi de l’humidité sur ce type de terrain.
Evidemment, cette conclusion est valable avec ce modèle de sonde (sonde Hydraprobe) dont le volume d’influence est faible. Cette étude sera probablement complétée par les résultats obtenus selon le même protocole avec des sondes disposant d’un volume d’influence plus élevé. Celles-ci auront probablement tendance à nécessiter moins de mesures.
Rappelons que ce volume d’influence a évidemment une incidence sur la moyenne. En effet, avec de faibles volumes d’influence (type POGO mini) le résultat obtenu donnera sans doute une image plus fidèle des premiers centimètres du substrat. Tout dépend alors de l’enracinement du gazon lors des mesures qui définit le volume prospecté par les racines.
Ainsi, la sonde POGO mini pourrait être plus utile lors des périodes d’installation lorsque l’enracinement est faible. A l’inverse, celle-ci aura tendance à être trop pessimiste avec un gazon mature dont l’enracinement est plus profond et pourrait mener à un sur-arrosage si les valeurs moyennes sont utilisées.
Bibliographie
- Lawrence, P. G., Roper, W., Morris, T. F. & Guillard, K., 2020. Guiding soil sampling strategies using classical and spatial statistics: A review. Agron.j. 112, 493–510. https://doi.org/10.1002/agj2.20048